Ben Hall et Thierry Dansereau ont respectivement occupé les postes de directeur de conception du monde et directeur graphique sur Assassin's Creed Odyssey, ils sont donc à même de nous expliquer comment façonner des environnements ouverts à grande échelle. Grâce au travail accompli par leurs équipes, la version de la Grèce antique que les joueurs peuvent arpenter dans Assassin's Creed Odyssey s'impose parmi les mondes les plus détaillés et les plus imposants jamais créés par Ubisoft. Pour ce nouvel article de notre série "Inventer l'inconnu", qui s'attache à envisager le futur de l'industrie vidéoludique, nous avons interrogé Ben Hall et Thierry Dansereau sur le rôle des nouvelles technologies et la façon dont elles permettent d'améliorer l'expérience de jeu, sur la façon dont le jeu vidéo aide l'industrie du cinéma et dont les joueurs eux-mêmes peuvent contribuer à créer des environnements encore plus aboutis.
Comment voyez-vous l'industrie vidéoludique dans dix ans ?
Thierry Dansereau : Google vient tout juste de lancer son service Stadia et je pense sincèrement que l'industrie se dirige vers le streaming. Je crois que les plateformes de jeu telles qu'elles existent aujourd'hui, ces grosses boîtes qu'on pose à côté de la télé dans le salon, sont amenées à disparaître. Selon moi, il faut s'attendre à de grands changements dans les années à venir.
Je pense également qu'on va voir de plus en plus de jeux indépendants et peut-être moins de jeux AAA, tout simplement pour des raisons budgétaires. Il devrait y avoir pas mal de studios indé capables de créer des expériences qui plairont à une large communauté de joueurs, mais cette opinion n'engage que moi. Les jeux à gros budget vont naturellement perdurer, mais je pense qu'on en verra de moins en moins.
Ben Hall : Totalement d'accord avec ça. Le futur, c'est le streaming. Je pense qu'au cours des dix années à venir, on va voir pas mal de plateformes passer à cette technologie, et ça va être intéressant de voir ce que les trois acteurs majeurs du secteur - Sony, Nintendo et Microsoft - vont faire pour répondre à Google.
C'est vraiment un sujet passionnant. Je crois sincèrement qu'on va assister à un changement dans la façon dont les développeurs créent les jeux ou en assurent le suivi. On ne va plus devoir suivre un protocole établi, qui consiste à sortir d'abord un jeu dans un boîtier avant de passer par une série d'étapes pour proposer plus de contenu aux joueurs ; on va pouvoir mettre à jour le contenu quand bon nous semble, en arrière-plan, et ça, c'est un énorme changement.
On pourra améliorer les graphismes, modifier le moteur ou tout un tas d'autres éléments sans pour autant interrompre l'expérience des joueurs. Ça va être tellement puissant qu'on devrait voir de plus en plus de gros jeux, avec des mondes de plus en plus grands, et toujours plus de contenu après le lancement. Les jeux vont devenir plus fluides, plus dynamiques. Plus vivants, en quelque sorte. Ils vont évoluer vers quelque chose de nouveau.
Comment pensez-vous que la technologie va modifier les expériences de demain ?
TD : À l'heure actuelle, la plus grosse entreprise de jeu vidéo, c'est Tencent, une société tournée principalement vers les jeux mobiles. Et le plus gros marché, c'est l'Asie. Les joueurs asiatiques sont fans des expériences multijoueur, beaucoup moins des jeux en coop ou en solo. Donc je pense que la tendance va dans cette direction. Les jeux vont devenir de plus en plus accessibles et ils seront mis à jour directement via le Web. C'est comme ça que je vois le futur, en tout cas.
BH : Pour moi, ça va continuer dans le sens de ce que Nintendo a fait avec la Switch. Quelque chose qui va permettre de jouer sur son canapé en streamant le contenu sur la télé, et de continuer sur son téléphone ou sa tablette à l'extérieur. Le fait de pouvoir streamer une expérience complète, ça va permettre à tout le monde de profiter de jeux AAA sur des appareils mobiles. Et je trouve ça juste incroyable.
Comment va évoluer votre travail au cours des dix prochaines années ?
BH : Je pense qu'on va assister à une véritable explosion du travail collaboratif et des contenus créés par la communauté. Cela dit, je crois qu'il y aura toujours de la place pour des jeux nécessitant des personnes à temps plein, comme Thierry et moi-même, des professionnels dont l'unique tâche est de créer des expériences épiques. Je pense qu'on va arriver à un stade où il faudra créer des mondes encore plus grand. Il faudra donc utiliser les outils dont on dispose de manière plus efficace et faire en sorte que les équipes coopèrent et travaillent de façon optimale pour parvenir à créer ces univers ultra détaillés. Selon moi, il y aura toujours besoin de concepteurs pour parvenir à ça.
TD : Je crois qu'on va aussi donner un certain contrôle aux joueurs sur le contenu, qu'on va avoir une sorte de système hybride où la communauté et les développeurs échangent et coopèrent pour créer une expérience ensemble. Enfin, quelque chose dans le genre.
Comment l'industrie vidéoludique peut-elle influencer les autres médias ?
BH : Je pense qu'on peut déjà voir d'autres industries utiliser des technologies propres à l'industrie du jeu vidéo, et notamment l'industrie du cinéma, qui se sert du moteur Unreal pour concevoir et visualiser à quoi va ressembler un film. Ils utilisent aussi cette technologie sur les plateaux de capture de mouvements pour permettre aux comédiens de voir ce qu'il se passe, des effets en temps réel, la plupart du temps. Donc je crois qu'il y a déjà une certaine influence.
Je pense que d'ici cinq à dix ans, on sera dans une ère où les films seront quasiment interactifs. Nos deux médias avanceront un peu main dans la main : les jeux vidéo tendent vers plus de réalisme et les films cherchent à trouver plus d'interactivité, donc il va forcément y avoir un genre de fusion. Après, je pense que ce sera un genre à part entière, plutôt qu'une norme. Les gens qui voudront voir des films interactifs pourront le faire, mais ça ne remplacera pas les jeux vidéo traditionnels, ceux auxquels on joue manette en main.
TD : Je pense que le jeu vidéo va offrir un nouveau type d'expérience de vie. Quand les gens voudront vivre quelque chose de nouveau, ils pourront le faire via les jeux vidéo. On va vers des expériences de plus en plus réalistes, c'est évident.
Quels sont les plus grands défis que vous avez relevés chez Ubisoft ? De quoi êtes-vous le plus fier ?
TD : Pour moi, c'est sûrement le travail qu'on a effectué sur Assassin's Creed Syndicate, car le développement a été moins fluide que sur Odyssey. On a appris énormément avec Syndicate. Cela nous a permis de modifier la façon dont les départements travaillaient, de déléguer certaines choses et de renforcer l'implication des équipes. Toutes les leçons qu'on en a tirées ont permis de faciliter le développement d'Odyssey, pour moi en tout cas, et ça a fait de Syndicate un truc vraiment très spécial. Donc je dirais que mon plus gros défi, ça a été Syndicate, et ma plus grosse réussite, Odyssey.
BH : J'ai rejoint Ubisoft en 2014, pendant le développement de Syndicate, et c'est un peu la même chose pour moi : il y a plein de choses qu'on a réussies avec cet épisode. C'était la première fois qu'Ubisoft Québec menait un projet et ça a été riche en apprentissages. Je suis vraiment fier de ce jeu et ce qui est certain, c'est qu'une fois le développement terminé, toute l'équipe avait à cœur de créer quelque chose d'encore meilleur.
Durant les trois années passées à développer Odyssey, on a essayé d'améliorer continuellement notre façon de travailler, de communiquer et même de déléguer. C'est vraiment rare d'avoir l'opportunité de créer un jeu qui vous motive chaque jour et auquel vous avez réellement envie de jouer. Je crois bien que je n'ai jamais connu un processus de production aussi cool de toute ma carrière. Ce qu'on a réussi à créer, aussi bien au niveau de notre équipe qu'au niveau global, c'est vraiment quelque chose de fantastique.
TD : À la fin du projet, là où les gens commencent généralement à ne plus pouvoir voir le jeu en peinture, il y avait encore tout un tas de personnes qui jouaient quotidiennement. Les gens aimaient véritablement le jeu, et ça, généralement, ça en dit long sur la qualité de la production.
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