L'engagement d'Ubisoft à créer un lieu de travail plus inclusif comprend UbiProud, un groupe de ressources des employés (GRE) mondial qui se consacre au soutien des employés et des alliés LGBTQIA+. Gav Sarafian et Antoine Gay sont deux des co-responsables mondiaux d'UbiProud, et tous deux sont très impliqués dans leurs communautés locales. Lors d’une entrevue avec Ubisoft News, Gav Sarafian et Antoine Gay expliquent comment le GRE mondial a été créé, évoquent l'importance de donner le bon exemple à l’industrie, et pourquoi ils s’efforcent à écouter attentivement les besoins de leurs membres avant de planifier des initiatives.
Comment le GRE UbiProud a-t-il été créé ? Comment chacun d'entre vous s'est-il impliqué ?
Gav Sarafian : Je dirige le GRE LGBTQIA+ local d'Ubisoft Toronto depuis trois ans maintenant, alors j'ai déjà de l'expérience dans ce domaine. L’année dernière, les initiatives mondiales ont été lancées, et j'ai été l'une des personnes choisies pour y participer. Les choses ont commencé à se mettre en place sérieusement à la fin de l'année dernière et au début de celle-ci ; on a bien progressé depuis. Nous avons également développé notre GRE aux côtés de nos GRE apparentés.
Jusqu’à présent, l’aventure a été intéressante - nous avons reçu quelques conseils de la part de l'entreprise, et quelques séances d'apprentissage d'un expert DEI des GRE de l'industrie sur la façon de nous comporter, mais on nous a donné beaucoup de liberté sur la façon dont on voulait se structurer, ce qui est très appréciable. Honnêtement, les choses ne font que commencer, nous réfléchissons à la manière dont nous voulons nous rendre plus visibles, et à ce que nous voulons faire à l'échelle mondiale.
Antoine Gay: Au début, les GRE LGBTQIA+ ont été créés comme groupes de soutien dans des sites locaux, où nous nous réunissions pour parler des problèmes auxquels les minorités sexuelles et de genre étaient confrontées. À un moment donné, on a voulu officialiser les choses. Avec UbiLove, l’antenne locale de Montréal, certaines personnes ont suggéré la création d’une structure formelle, nous sommes donc passés d'un groupe de discussion à la reconnaissance en tant que GRE en 2020.
Qu'est-ce que cela fait de passer d'une section locale à une organisation mondiale ? Pourquoi avez-vous voulu assumer la responsabilité supplémentaire de diriger un GRE ?
GS: En ce qui me concerne, je dirige toujours mon GRE local tout en réfléchissant à mon avenir au sein de l'équipe mondiale au même titre. Il s’agit de beaucoup de travail, et participer aux deux l'est encore plus. Jusqu'à présent, tout s'est bien passé, mais au fur et à mesure que nous progressons, je me vois faire preuve de plus de pragmatisme quant à mes limites, responsabilités, er capacités.
AG: Personnellement, j'étais impliqué dans UbiLove, occupant un rôle mineur. Quand j'ai vu qu'ils cherchaient des leaders, j'ai décidé de ne pas me porter volontaire ; c'était l'occasion de se retirer et de donner une chance à ces voix que nous entendons rarement de prendre un rôle de leader. Je suis un homme, cis-blanc, français, dans une entreprise française ; je représente cette voix typique qu'on entend tout le temps. Cependant, nous manquions de personnes qui voulaient s'engager, alors je l'ai fait. Et quand la place s'est libérée au niveau mondial, mes collègues m'ont suggéré de tenter ma chance.
Une chose que je trouve importante, c'est que nous considérons le GRE mondial comme un lieu de rassemblement des initiatives locales, alors qu’en réalité, ce sont cedernières qui animent le GRE. Que ce soit ce qu'ils veulent faire ou ce qu'ils veulent réaliser, le GRE mondial d'UbiProud n’est pas un lieu de suggestions d'initiatives, mais plutôt le porte-parole des différentes antennes locales auprès de la direction et de l'équipe Diversity, Inclusion, and Accessibility (DIA).
Quel est l’énoncé de votre mission ?
GS : L'énoncé de mission officieux de Rainbow 6ix, le GRE local de Toronto, qui d’après moi s'applique également au GRE mondial, est de militer pour la représentation, l'égalité et les opportunités pour les personnes LGBTQIA+ au sein d’Ubisoft et plus généralement dans l'ensemble de l’industrie. Nous voulons donner l’exemple.
AS : Je pense qu'une déclaration de mission est un très grand terme pour un GRE qui provient de sa communauté, l'incarne et la représente. Un GRE doit être ce que ses membres veulent qu'il soit, et peut se concentrer sur plusieurs aspects à la fois. Pour l'instant, ce que les gens ont exprimé est exactement le type de mission que Gav a décrit. Il s'agit de la représentation et du bien-être de notre communauté plus que des aspects professionnels sur lesquels beaucoup de gens se concentrent. Il est parfaitement possible qu'à un moment donné, notre GRE se penche vers la progression de carrière et les rôles de direction au sein de l'entreprise si les membres le souhaitent, mais ce n'est pas ce que les gens ont exprimé. Je ne pense pas que nous devrions avoir une déclaration de mission forte et générique, mais plutôt nous focaliser sur ce dont notre communauté dit avoir besoin.
Quel genre de programme avez-vous mis en place ? Que vous a demandé la communauté ?
GS : Nous sommes encore en train de définir notre structure, même notre direction n'a pas encore été élue. Nous nous sommes juste portés volontaires, donc nous ne parlons pas au nom de tout le monde dans le groupe ; je ne suis pas le porte-parole du groupe. Nous ne sommes pas un monolithe. Il existe de nombreux types de personnes homosexuelles, et nous avons donc beaucoup à découvrir, y compris la manière dont nous voulons gérer les choses.
Au niveau local, nous avons eu un certain nombre d'initiatives. L'une des premières a été de plaider pour l'installation de toilettes non genrées dans le studio, chose que l’on a obtenu d’ailleurs. Nous avons également mené travaillé pour mettre à jour les documents d'orientation afin d'utiliser une formulation plus inclusive, et nous avons organisé une vente de pâtisseries où nous avons récolté 1 700 $ pour les fonds de transition d'un membre, c'était incroyable. En plus, nous avons participé à la Toronto Pride en 2019, ce qui a nécessité beaucoup de travail collaboratif avec le studio. Ils ont suivi nos conseils, ce qui était très rafraîchissant, et l'événement s'est très bien déroulé. Cette année, nous organisons une session de conférenciers et un cabaret. Nous avons déjà fait quelque chose de similaire ces deux dernières années ; en 2020, au lieu de participer à la Pride vu le contexte sanitaire, nous avons fait don de tous ces fonds. Puis, en 2021, nous avons organisé notre première session de conférences pendant la Pride.
AG: Je suis d'accord, la diversité est une spécificité de la communauté LGBTQIA+. Même si quelqu'un appartient à une minorité sexuelle ou une minorité de genre, il est par nature ignorant des réalités de certaines autres parties de la communauté. Nous avons tous le devoir de nous éduquer car nous pourrions, sans le vouloir, être l'une des voix oppressives d'une autre partie de la communauté. Je prendrai l'exemple des erreurs de désignation de genre, pour lesquelles le fait d'être gay, lesbienne, bi ou asexuel ne rend pas la situation moins blessante. C'est pourquoi je pense que notre approche consistant à écouter constamment ce que les gens veulent et demander ce dont ils ont besoin reste la meilleure façon de procéder. Nous pouvons également mettre les gens en contact les uns avec les autres. Actuellement, l'équipe mondiale d'UbiProud ne compte que quatre personnes, mais en mettant les sections locales en contact les unes avec les autres, elles peuvent partager leurs connaissances et leurs meilleures pratiques entre elles, cela nous permet de ne pas être la voix qui imposerait la bonne façon de faire.
Je peux vous donner un exemple précis de ce que nous avons fait au niveau local. À Toronto, une personne a signalé que l'assurance maladie privée dont nous disposons au Canada ne couvrait pas la chirurgie d'affirmation du genre. Nous l'avons donc aidée à monter un dossier pour que notre studio puisse négocier avec notre assureur. Encore une fois, ce que nous ferons dépendra des besoins que les gens exprimeront. C'est un exemple très local, mais il reflète le type de questions que nous abordons.
En outre, l'un des principaux sujets que nous aimerions approfondir, c’est la santé mentale, et les besoins spécifiques en matière de santé mentale de la communauté que nous servons. Il est difficile de vivre dans une société et un monde où l'on ne peut pas toujours se sentir à l'aise ou même en sécurité en étant qui l'on est, et nous aimerions disposer de ressources comme des intervenants sur les questions de santé mentale pour les personnes homosexuelles, qui peuvent apporter un soutien aux membres de la communauté confrontés à ce type de problèmes.
Comment Ubisoft a-t-elle soutenu votre GRE ?
GS : On a eu d'excellentes relations avec notre équipe de communication. Financièrement, mais pas seulement,, nous avons eu le soutien de nos dirigeants pour les initiatives que nous voulions prendre. Les conférencier.e.s ne sont pas gratuit.e.s, et nous voulions nous assurer que ces fonds aillent entre les mains de personnes homosexuelles, et ils ont collaboré et ont réellement bien travaillé avec nous sur ce point. Je suis très reconnaissante, en particulier envers l'équipe de communication, pour tout le travail accompli localement pour nous aider à tout réaliser jusqu'à présent.
Tout du long, j'ai été impressionnée par la passion de mes collègues et leur capacité à travailler pour améliorer les choses, et il est très réconfortant de voir l'attention et la dévotion qu’ils ont les uns envers les autres. Oui, nous faisons des jeux, oui, nous travaillons dans une entreprise, mais à un niveau personnel, il est toujours positif de regarder autour de soi et de voir combien de personnes se soucient des problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que communauté et au sein de l'industrie.
AG : Je pense qu'il est important de reconnaître à quel point les équipes de communication nous aident sur tous ces aspects. Elles nous donnent l'espace nécessaire pour dire ce que nous voulons exprimer. Elles corrigent un peu si le ton n'est pas bon, mais en général, nous envoyons le message comme nous voulons ; elles s'assurent simplement que nous le communiquons correctement à tous les niveaux (local et mondial). Pour être honnête, plusieurs membres d’équipes de communication sont des allié.e.s; cela aide beaucoup.
Localement, à Montréal, nous avons le soutien total de l'équipe des événements et de l'équipe du DIA pour organiser des activités. Pendant la semaine de la fierté, qui a lieu en août ici, j'ai été vraiment surpris par la manière dont ils se sont littéralement emparés de nos idées pour nous aider à les réaliser. Nous avions fait un brainstorming sur ces idées, et nous pensions devoir tout organiser nous-mêmes, mais ils ont décidé de les prendre en charge, et ça m'a vraiment marqué.
Au niveau mondial, nous constatons une véritable préoccupation et une réelle volonté de prendre en charge les minorités de genre et les minorités sexuelles parmi nos collègues. Ce travail est mené par l'équipe DIA, mais d'autres membres de l'équipe, comme ceux de notre groupe de révision du contenu, y contribuent également. La direction et les membres de l'équipe nous écoutent, et je ne crois pas que ce soit du vent. Je sais que si une de nos suggestions n'ont pas encore été mises en œuvre, c’est que tout le monde prend le temps de s'assurer que nous faisons les choses correctement.
Quel rôle voyez-vous pour un GRE comme UbiProud dans une entreprise comme Ubisoft ? Pourquoi pensez-vous qu'il soit important ?
GS : Comme constaté ces dernières années dans cette industrie, il y a des problèmes d'inégalité, de représentation et d'inclusion. C'est pourquoi nous avons maintenant une équipe DIA dédiée, des personnes dont le travail à plein temps est consacré à ces questions. Il y a donc clairement un besoin. Il nous incombe, en tant que personnes souhaitant diriger ou représenter des communautés, de faire pression pour amener ces changements, et de dénoncer lorsqu’il le faut grâce au pouvoir que confère le statut de GRE d'Ubisoft. Toutefois, dans le cadre de ce pouvoir, celui que nous avons établi pour nous-mêmes, il est important de prêter attention à la façon dont nous pouvons améliorer les choses pour notre communauté, de façon générale, à la fois pour les personnes travaillant dans notre société et l'industrie en général.
Pour donner un exemple visuel, je dirais que nos efforts sont comme une petite molette que nous essayons de pousser, très régulièrement. Cette petite molette pousse ensuite un plus grand engrenage, qui représente le progrès et l'inclusion dans notre studio, et qui fait tourner - vous voyez où je veux en venir - une plus grande roue, celle de nos jeux. Ces roues affectent l'entreprise, le secteur et, en fin de compte, nos jeux et la société dans son ensemble. En tant que support artistique et plateforme de divertissement, nous avons de nombreuses moyens pour apporter des changements à l'échelle mondiale et culturelle. Je pense que nous avons une responsabilité sociale qui ne s'arrête pas aux jeux que nous produisons ; nous pouvons réaliser bien plus que cela et faire de grandes choses.
AG : On peut aussi voir des débats dans notre société qui ne s'étendent pas aux entreprises. Par exemple, la communauté queer a un fond théorique appelé la théorie queer, qui nous a poussé à questionner beaucoup de choses que tout le monde prend pour acquises, et de proposer des solutions originales. Et j'utilise volontairement la voix passive : ce n'est pas nous qui avons choisi de faire cela, on l’a fait parce que les gens nous ont marginalisés, ce qui est également vrai pour d'autres groupes. Nous pouvons traduire cela dans nos jeux, incarner cette idée dans l'entreprise, et tenir un discours différent de celui que nous entendons habituellement dans ce secteur.
Dans quelle direction espérez-vous voir le GRE évoluer à l'avenir, lorsqu'il sortira de sa phase de démarrage et entamera ses prochaines étapes ?
GS: C'est une grande question, mais je peux vous partager quelques points. Nous voulons augmenter le nombre de nos membres, mais pas remplir un quota. Nous voulons être en mesure d'atteindre tous les membres de la communauté et de leur offrir un soutien, en particulier s'ils ne savent pas qu'une telle chose peut exister alors qu’elleexiste effectivement. Nous allons devoir redéfinir notre mode de fonctionnement et notre structure de direction, je ne sais pas exactement comment cela va se passer, mais je suis très intéressée à l’idée de voir comment nous allons organiser des événements à l'échelle mondiale et locale.
AG: De mon côté, nous nous concentrons vraiment sur le fait d'être l'interface avec les collègues qui font partie de la communauté et l’entreprise, pour arriver à un endroit où les gens peuvent venir nous voir s'ils ont des questions liées à la communauté que nous accompagnons. Nous pouvons faire beaucoup plus à ce sujet. La formation des GRE a mis l'accent dessus, et c'est vraiment ce que j'aimerais voir. J'aimerais également que l’on devienne une référence en interne pour nos équipes de production. Nous ne sommes pas dans n'importe quel type d'industrie, nous sommes une industrie culturelle, ce qui signifie que nous racontons des histoires et que ces histoires inspirent l'imagination de beaucoup de gens, on a donc de l’influence. C'est là que je pense que nous devons nous concentrer sur la représentation dans nos jeux et les histoires que nous racontons, et faire savoir aux productions qu'elles peuvent venir nous voir pour poser des questions ou obtenir des ressources.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite créer son propre GRE ?
GS : Cela dépend du contexte : l'entreprise dispose-t-elle déjà d'une structure GRE ou part-elle de zéro ? Si elle n'a rien, cela va demander beaucoup de travail. S'il n'y a pas de structure, vous devez approcher et embarquer votre entreprise ; c'est une tout autre conversation car vous demandez à l'entreprise de vous donner une mesure d'influence. C'est donc une démarche à part entière.
Si votre entreprise dispose d'un GRE ou qu’elle est ouverte à cette idée, vous avez déjà franchi ces obstacles. Je dirais que la première chose à faire dans cette situation est de rassembler les voix les plus fortes que vous connaissez au sein de votre communauté. Vous aurez besoin de personnes qui vous aideront à faire pression. Il est bon d'avoir une idée des personnes qui auraient envie de devenir membres, mais il est encore plus important d'avoir une idée et une sorte d'engagement de la part des personnes qui veulent travailler, car diriger une GRE est un travail. Chez Ubisoft, les leaders de GRE peuvent consacrer 10 % de leur temps à ce travail, mais il est orienté vers la communauté, et si vous pouvez trouver des personnes chez qui tout ça résonne, vous commencerez à avoir une bonne structure.
À partir de là, vous devez examiner les exemples d'autres GRE dans votre secteur d'activité, voir comment ils font les choses et vous en inspirer. Il est également important de se rappeler que tout n’a pas à être parfait dès le départ. C'est beaucoup de travail, les gens vont et viennent, mais il ne faut pas se surmener pour effectuer ce travail. Il est important de ne pas s'épuiser, vous devez également prendre soin de vous.
AG : Je vais parler de l'exemple où il n'y a pas de structure réelle dans l'entreprise. Je pense qu'une critique que beaucoup de gens font à propos des GRE, c’est qu'en se concentrant sur les identités de certains groupes, vous pourriez mettre à mal la collaboration entre eux sur des questions plus larges qui affectent tout le monde dans l'entreprise. Mais je ne pense pas que ce soit vrai. Si vous vous assurez que votre GRE communique avec d'autres groupes, que vous êtes ouvert aux alliés et que vous représentez la communauté au mieux, vous réussirez. Comme je l'ai dit, nous sommes un groupe de la communauté pour la communauté, et finalement, c'est tout ce qui compte.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire aux lecteurs d'Ubisoft News ?
GS: Joyeuse fierté !
*Pour en savoir plus sur les efforts d'Ubisoft en matière de D&I, consultez la nouvelle équipe Diversité, inclusion et accessibilité, ou les récents articles d GRE concernant les groupes Asiatiques et insulaires du Pacifique et Salaam d'Ubisoft.