En 1998, fraîchement diplômée en communication publique à l'Université Laval, Andrée Cossette a rejoint l'équipe d'Ubisoft Montréal en tant que spécialiste des communications internes. Elle est rapidement passée aux ressources humaines, d'abord comme conseillère, puis comme partenaire d'affaires en RH pour le département des technologies. C'est à ce moment qu'elle a rencontré Nicolas Rioux, alors directeur du département. Cossette ne se doutait pas à l'époque que cette rencontre marquait le début d'un partenariat fructueux.
En 2005, Cossette aida Rioux (qui avait alors été promu vice-président des technologies pour les studios canadiens d'Ubisoft) à fonder Ubisoft Québec, le studio derrière Assassin's Creed Odyssey et Gods & Monsters, qui sort prochainement. Après plus de 20 ans chez Ubisoft, elle a récemment pris les rênes du studio en tant que directrice générale. Nous l'avons rencontrée pour parler du présent et de l'avenir d'Ubisoft Québec.
Comment s'est déroulée la fondation d'Ubisoft Québec?
Andrée Cossette : En 2005, j'ai eu l'honneur d'obtenir le mandat de lancer un nouveau studio d'Ubisoft dans la ville de Québec. Au départ, l'entente portait sur une mission de trois mois, puisque ma vie était à Montréal. Quelques semaines plus tard, Nicolas Rioux était nommé directeur général. Heureusement, il a mis en place des stratégies judicieuses, et les trois mois se sont transformés en six mois, puis en douze. Ça fait presque 15 ans, et je ne me verrais pas ailleurs. Ma vie est ici. J'ai adopté Québec. Ou c'est la ville qui m'a adoptée.
Que ressentez-vous quand vous pensez au chemin parcouru par le studio?
AC : J'ai vu le studio passer de 30 employés la première journée à plus de 500 aujourd'hui. J'ai vu nos équipes prendre de l'expérience avec des projets plus modestes sur consoles de salon ou portables, comme la PSP, la Nintendo DS ou la Nintendo Wii. Puis, il y a eu les premières collaborations avec Ubisoft Montréal sur Assassin's Creed Brotherhood, un rôle de leadership sur un projet AAA avec Assassin's Creed Syndicate et, enfin, la reconnaissance internationale grâce à notre plus récent jeu, Assassin's Creed Odyssey. J'ai vu de jeunes développeurs, à peine sortis de l'école en 2005, devenir des superstars de notre industrie. Chaque jour, j'ai la chance de travailler avec des personnes dévouées, prêtes à se remonter les manches et à faire le travail nécessaire. Des gens qui transforment les problèmes en occasions. Je suis fière du chemin parcouru, mais aussi de penser à l'avenir et de voir qu'on a encore plein de grandes choses à accomplir ensemble.
Parlant d'avenir, quelle est la prochaine étape pour Ubisoft Québec?
AC : Accepter la direction du studio m'a amenée à me demander ce que je voulais apporter à l'équipe. Ultimement, ce que je veux donner au studio, c'est une vision pour l'avenir. D'abord et avant tout, je veux qu'on mise sur les gens, parce que c'est ça qui fera une différence. Ma vision est simple : je veux qu'Ubisoft Québec soit reconnu comme un des meilleurs studios de jeux vidéo au monde, pas seulement pour la qualité exceptionnelle de ses jeux, mais aussi pour sa façon de faire les choses. Je veux que nous soyons une référence. À cette fin, je veux que nous perfectionnions nos compétences pour être à l'avant-garde. Il faut développer un leadership plus mobilisateur pour inclure davantage nos équipes, dans un climat de respect et de transparence. De moi envers les employés, des employés envers moi, de chaque employé envers son gestionnaire et de chaque gestionnaire envers son équipe.
C'est ambitieux, je sais, mais c'est la vision en laquelle je crois vraiment pour Ubisoft Québec : des jeux exceptionnels, de la reconnaissance, mais, surtout, de la fierté, des accomplissements et du bonheur. Le bonheur de créer les meilleurs jeux au monde. Le bonheur de se dépasser constamment. Le bonheur, point.
Pourquoi est-il si important de mettre l'accent sur les gens dans l'industrie du jeu vidéo?
AC : Quand on pense aux jeux vidéo, on pense aux technologies, aux machines, aux logiciels et aux consoles. Mais il y a un ingrédient essentiel qu'il ne faut pas oublier : les gens. Aucune machine ne peut remplacer la créativité humaine. Ni la magie qui naît quand 500 personnes collaborent dans un objectif commun. Pas plus que l'expérience que ces 500 personnes gagnent chaque fois qu'un jeu est lancé. Cette expérience nous donne toujours de nouveaux outils pour relever les défis sur notre chemin. Chez Ubisoft Québec, j'ai la chance d'être entourée de personnes très compétentes. Des personnes passionnées. Avec une telle équipe, aucun défi n'est insurmontable.
Devenir la directrice générale du studio qu'on a aidé à fonder, ça fait quoi?
AC : Plaisir! Ça fait encore étrange de le dire. La semaine dernière, j'ai annoncé ma décision à toute l'équipe et présenté ma vision pour le studio. C'était un moment émotif pour moi, mais je vais m'y faire. Ce qui est important, c'est que je suis prête pour la suite. Nous avons une équipe extrêmement compétente. Je suis sa plus grande fan. Elle me surprend sans cesse par ce qu'elle arrive à produire. Il ne fait aucun doute qu'Ubisoft Québec a du talent à revendre, et mon rôle est de créer les conditions optimales pour que ce talent puisse s'épanouir.
Qu'est-ce qui vous a motivée à venir à Québec pour démarrer un studio en 2005?
AC : Le studio de Montréal était sur une bonne lancée, mais nous trouvions qu'il était difficile de recruter. Nous voulions nous rapprocher du talent, au lieu d'attendre qu'il vienne à nous. Nous avions l'impression qu'il se passait quelque chose de spécial à Québec, alors nous avons décidé de faire le saut.
Quand nous sommes débarqués à Québec en 2005, nous avons adopté la même philosophie qu'à notre arrivée à Montréal en 1997; notre objectif était de lancer un studio de jeux vidéo, bien sûr, mais nous voulions aussi créer des liens étroits avec la communauté qui nous accueillait. Nous voulions être un membre à part entière de notre milieu et nous y impliquer, que ce soit en contribuant au développement du quartier, en nouant des relations avec les commerces locaux ou en établissant des partenariats durables avec les écoles des environs. Nous avons créé des liens forts avec des programmes de formation et des organisations avec lesquels nous collaborons encore aujourd'hui.
Quand vous pensez aux relations d'Ubisoft Québec avec la communauté, quelle initiative vous inspire le plus de fierté?
AC : C'est dur d'en choisir une seule! Nous participons à tellement de projets. L'année dernière seulement, 11 000 jeunes allant du primaire à l'université ont fait partie de notre initiative Ubisoft Éducation, qui leur offre des formations et les encourage à se préparer aux emplois d'avenir dans le domaine des technologies. Mais il y a un nouveau projet qui m'inspire particulièrement, Le Code des Filles. C'est une initiative menée par des adolescentes qui vise à mobiliser les filles pour qu'elles contribuent à la transformation technologique continue, en les introduisant au code. Non seulement leur mission est inspirante, mais le fait qu'elle soit menée par des filles du secondaire et du collégial est absolument remarquable. Ubisoft Québec a joué un rôle de soutien en les aidant à faire avancer leurs idées. En tant que femme travaillant dans un domaine technologique, ça m'inspire.
Qu'est-ce que cela représente, être une femme dans l'industrie du jeu vidéo en 2019?
AC : Je vais parler pour moi-même et mon expérience chez Ubisoft. Ça signifie être entourée d'hommes qui veulent que les choses changent et qui me soutiennent. Des hommes qui veulent une plus grande diversité, parce que c'est ce qui nourrit et enrichit le processus créatif, en apportant de nouveaux points de vue et de nouvelles expériences. Au bout du compte, ça peut seulement rendre nos jeux meilleurs. Quand je me demandais si je voulais assumer le rôle de directrice générale, j'ai reçu beaucoup d'appuis et de témoignages touchants d'hommes du studio qui m'encourageaient à accepter le poste. Aujourd'hui, il n'y a pas encore assez de femmes dans l'industrie. Je crois que nous, les femmes qui travaillons dans le domaine du jeu vidéo, devons promouvoir les possibilités de carrière auprès des autres femmes et démocratiser l'industrie.
Vous êtes chez Ubisoft depuis 21 ans. Quel est le secret d'une telle longévité?
AC : C'est fou quand on y pense, 21 ans. Pour la même entreprise! Parfois, ça surprend les gens quand je leur dis parce que, de nos jours, ce n'est pas habituel de travailler aussi longtemps pour la même entreprise. L'histoire c'est que, oui, je suis chez Ubisoft depuis 21 ans, mais je n'ai pas l'impression d'avoir travaillé pour la même entreprise ou fait le même travail pendant tout ce temps. La culture et les valeurs d'Ubisoft sont demeurées les mêmes depuis le début. L'industrie, par contre, évolue tellement rapidement que j'ai l'impression d'avoir vécu de nombreuses phases, comme si j'avais changé de domaine plusieurs fois durant ma carrière.
J'étais là quand Ubisoft Montréal n'était encore qu'une jeune entreprise. J'étais là aussi quand on a atteint le millier d'employés au studio. Après, j'ai retrouvé le sentiment de jeune entreprise à l'ouverture d'Ubisoft Québec, puis j'ai assisté à son développement, sa croissance. Et ça continue. Nous voulons surprendre l'industrie avec des produits extraordinaires. C'est une progression constante, et c'est pourquoi je n'ai jamais senti que je stagnais ou que je faisais du surplace. Je crois que c'est le secret de la longévité : se confronter constamment à de nouveaux défis.
Comment un studio fait-il pour rester d'actualité dans une industrie en constante évolution comme celle du jeu vidéo?
AC : Je pense que le secret, c'est de donner de la liberté à nos équipes. Nous avons des développeurs intelligents, créatifs et visionnaires. Ce sont eux qui façonnent l'avenir de notre industrie. Il faut leur offrir les meilleures conditions possible pour qu'ils puissent être les moteurs du changement. À l'heure où on se parle, notre industrie évolue encore une fois, et je veux qu'Ubisoft Québec soit à l'avant-garde de cette transformation. Pour cela, il faut surprendre les joueurs, leur présenter quelque chose de nouveau et toujours offrir des jeux de grande qualité acclamés par la critique internationale. La mission d'Ubisoft, et donc du studio de Québec, est d'enrichir l'existence des joueurs en créant des expériences de jeu originales et mémorables.
Quelle évolution souhaitez-vous pour l'industrie du jeu vidéo?
AC : Des points de vue de la créativité et de la technologie, je suis convaincue que des choses extraordinaires sont en développement. L'industrie se réinvente constamment et nous sommes à l'aube d'une révolution. Bien sûr, le niveau de qualité des jeux continuera d'augmenter, mais je crois que le vrai changement sera dans notre façon de faire les choses. Dans l'avenir, j'espère que l'industrie sera plus diversifiée, plus ouverte et plus prête à prendre des risques. Je souhaite que les développeurs osent sortir des sentiers battus. Avec des équipes plus diversifiées, composées de gens issus de milieux différents, nous pourrons créer des jeux qui attireront tous les types de joueurs. Il y aura quelque chose pour chacun. Voilà mon plus grand souhait pour notre industrie.
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