Assassin’s Creed Valhalla est maintenant disponible dans le monde entier, ce qui signifie que vous pouvez dès à présent piller des monastères, apprivoiser des loups et plonger dans des tas de feuilles drôlement bien placés. Se déroulant principalement dans l'Angleterre du neuvième siècle, Valhalla suit l'histoire d'Eivor, un redoutable pillard viking qui mène son clan en territoire hostile en quête d'une nouvelle terre d'accueil, poussé par une divine prophétie. Le jeu est disponible dès maintenant sur Xbox Series X|S, Xbox One, PS4, PC, Stadia et Amazon Luna, et arrivera sur PlayStation 5 le 12 novembre.
Pour la première fois dans la franchise Assassin’s Creed, la campagne de Valhalla est divisée en histoires épisodiques racontant des moments forts comme le renversement d'un souverain corrompu, la restauration de la paix entre des factions rivales ou la découverte de nouveaux alliés dans des endroits insoupçonnés. Bien qu'une histoire centrale se développe tout au long du jeu, chaque région propose une histoire indépendante comportant ses propres personnages, décisions et conséquences. Face à une telle diversité narrative au sein de la campagne principale, l’équipe narrative a décidé de mettre de côté le concept traditionnel de missions secondaires au profit des « événements du monde », des mystères éparpillés dans le monde du jeu et proposant toutes sortes de contenu allant d'énigmes relaxantes utilisant l’environnement à des prises de décision déchirantes.
Pour mieux comprendre pourquoi l’équipe a choisi de revoir complètement la formule narrative du monde ouvert d’Assassin’s Creed, nous avons discuté avec le directeur narratif du jeu, Darby McDevitt.
Assassin's Creed Valhalla s’affranchit des missions secondaires plus traditionnelles que nous avons vues dans Origins et Odyssey au profit des événements du monde. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?
Darby McDevitt: Lorsque nous avons commencé à travailler sur ce jeu, nous avons réfléchi au véritable but de la structure traditionnelle des missions dans les jeux de rôles. Nous tenons pour acquis qu’il y a une histoire centrale et une foule de missions secondaires, et que l’histoire principale mène le joueur à travers une grande aventure... mais en cours de route, le joueur ramasse toutes ces tâches secondaires et s’en occupe au moment qui lui plaît. Si une mission secondaire ne l’intéresse pas pour le moment, il la laisse traîner dans son journal de missions. Sinon, il la joue tout de suite.
Mais ce que nous avons constaté, c’est que la plupart des jeux de rôles considèrent le personnage principal comme un héros dans son univers. C’est un individu qui possède ses propres motivations, mais pendant qu’il explore le monde, d’autres personnages le voient comme un héros à qui ils peuvent confier leurs problèmes. Par exemple, dans Origins, Bayek a sa propre histoire à vivre, mais tout le monde voit son insigne de Medjaÿ et se dit : « Ah, voilà quelqu’un qui pourra m’aider à résoudre mon problème. » Même chose dans Odyssey : le héros est un misthios, avec sa propre quête, mais les gens le voient comme un mercenaire. Le joueur peut choisir de les aider. Quand nous avons commencé à planifier l’expérience d’un viking envahissant l’Angleterre, ce genre de structure ne tenait plus la route. Nous ne pouvions pas avoir un viking qui rôde en territoire ennemi, et des Saxons qui l’interpellent au hasard pour lui demander son aide. « Bien sûr, pas de problème, je vais voir ce que je peux faire. »
D’un autre côté, nous nous disions qu’un personnage débarquant en Angleterre voudrait s’y faire des amis, des alliés, et que ces alliances devraient être méritées d’une façon ou d’une autre. Alors nous avons transformé les missions secondaires en « événements du monde », plus courts, et nous avons structuré la mission principale en une série d’aventures plus découpées formant une vingtaine d’arcs narratifs indépendants, chacun ressemblant à un film de deux à trois heures. Au terme de chacune de ces aventures, le personnage forme une nouvelle alliance.
Quant aux événements du monde, ce sont des événements beaucoup plus réduits où nous comptons sur la curiosité du joueur comme motivation première. Supposons que vous voyez une personne prisonnière d’une tour; vous pouvez décider d’aller l’aider tout de suite ou, si ça ne vous intéresse pas, vous pouvez passer votre chemin sans traîner une mission qui vous rappelle d’aider cette personne qui ne vous intéresse pas. Évidemment, il y a quand même un point sur la carte pour vous rappeler qu’il y a quelque chose à faire à cet endroit si l’envie vous prend plus tard. Mais en ce qui concerne la structure narrative, il n’y a aucune raison d’écrire ce genre de détail dans le journal et d’en faire une tâche importante.
Lorsque nous avons adopté cette structure, l’idée des missions plus longues et épisodiques s’est manifestée et nous avons réalisé que cela ressemblait beaucoup aux sagas islandaises : de longues histoires découpées en épisodes qui n’ont pas un parcours narratif précis comme la classique quête de rédemption. Elles ressemblent davantage à « Don Quixote », par exemple; une simple série d’aventures mettant en vedette les mêmes personnages. Et ce genre de structure convient vraiment à notre référence culturelle, c’est-à-dire les sagas vikings islandaises.
Après deux ans et demi de travail, je pense que ça a bien fonctionné, et nous avons l’impression d’avoir créé quelque chose de différent. C’est une nouvelle façon d’aborder un jeu de rôles. Nous avons les grandes histoires épisodiques d’un côté, les petits moments des événements du monde de l’autre, et j’espère que ce rythme, cette espèce de montée et descente narrative, donnera aux joueurs une variété qui leur plaira.
En parlant d’invasion, il y a des moments où Eivor peut donner l’impression d’être le méchant dans l’histoire. On voit souvent des innocents s’enfuir du héros en hurlant. Comment avez-vous fait pour garder l’équilibre entre ce genre d’action posée par les joueurs et une histoire héroïque?
DM: C’est effectivement un mélange délicat. Dès le départ, nous avons essayé plusieurs approches pour le jeu. Dans une version, le joueur pouvait non seulement piller des villages, mais aussi prendre d’assaut des châteaux fortifiés. Cela nous a paru aller trop loin dans cette direction. Comment le personnage peut-il décider, comme ça, de prendre une forteresse d’assaut alors qu’il est en pleine quête pour venir en aide aux habitants de ce même territoire? Alors nous avons éliminé cette option. Nous nous sommes assurés que chaque bataille importante survienne dans le cours de l’histoire principale, avec une justification narrative, et cela a atténué l’impression d’avoir un héros complètement destructeur.
Mais c’est vrai que si nous avions fait un jeu sans colonie, où le joueur s’amusait simplement à tuer et à piller des richesses, le protagoniste aurait beaucoup plus donné l’impression d’être le méchant dans l’histoire. Je pense qu’en centrant ces actions sur la colonie, ces attaques ont une fonction utile pour développer et protéger la colonie. Tout le monde est un héros dans sa propre histoire.
Étant donné que l’aventure principale est racontée de manière épisodique, est-ce que cela a été l’occasion pour vous d’y insérer des moments et des personnages mémorables qui auraient normalement été confinés à des missions secondaires?
DM: Je pense que simplement parce qu’il y a environ une vingtaine de missions territoriales, et que chacune dure de deux à trois heures, chaque mission présente une poignée de personnages que les joueurs vont apprendre à connaître et à aimer. Et certains personnages peuvent revenir dans une deuxième ou une troisième mission.
En divisant le monde de cette façon, je pense que le pourcentage de personnages mémorables peut être plus élevé puisque le joueur passe quelques heures à la fois avec chacun d’eux. Dans Origins et Odyssey, chaque jeu avait au moins une centaine de missions secondaires, mais chacune durait seulement de 10 à 20 minutes. En faisant de ce genre de scènes des événements du monde, et en dédiant beaucoup plus de ressources aux missions territoriales, chaque grand arc narratif comporte au moins trois ou quatre personnages avec qui le joueur passe quelques heures. Je pense qu’arrivés à la fin du jeu, les joueurs garderont un bon souvenir de plusieurs de ces personnages.
Est-ce difficile de garder le contrôle d’une trame narrative traversant autant de régions différentes?
DM: Au contraire, ça a même facilité notre travail. Il y a un fil conducteur émotionnel tout au long de l’histoire. Nous l’appelons l’histoire de Sigurd, ou l’histoire de la prophétie, que nous démarrons dès le début du jeu et qui se poursuit jusqu’à la fin. Mais nous traitons de cette histoire seulement dans une poignée de territoires. Ce sont les territoires où vous rencontrez Sigurd, et les autres sont plutôt comme des épisodes indépendants, avec un « méchant du jour », en quelque sorte. Puis il y a les territoires qui recentrent et font progresser l’histoire principale.
Pour chaque histoire, nous avons créé une structure en cinq actes logeant sur une unique feuille de papier. Et j’ai dit à l’équipe : « Si vous ne pouvez pas résumer une histoire et tous ses moments importants sur une page et en cinq actes, l’histoire est trop compliquée. » Dans le premier acte, vous posez les bases. Dans le deuxième, vous compliquez la relation. Dans le troisième acte, vous arrivez au point culminant de l’histoire. Dans le quatrième, rien ne va plus, c’est le point de non-retour. Puis tout se dénoue et le cinquième acte résout l’histoire. Nous avons suivi ce procédé pour tous les territoires sans exception, et cela nous a permis de raconter nos histoires et d’en garder le fil vraiment facilement.
En fait, je pense que cette structure nous a aidés à raconter des histoires captivantes parce que, selon moi, beaucoup de jeux vidéo ont la fâcheuse tendance d’étirer une histoire qui pourrait être racontée en trois heures sur vingt heures de jeu, et d’ajouter beaucoup de superflu. Souvent, on se demande où va l’histoire, ou on se retrouve avec des longueurs, ou bien tout devient compliqué pour rien parce ce qu’il y a trop de choses qui progressent en parallèle. En décidant d’isoler chaque territoire narrativement, nous pouvons dire : « Voici une histoire de trois heures, vous n’avez pas besoin de vous soucier de ce qui se passe ailleurs. »
Une chose qui m’a surpris avec les événements du monde, c’est qu’ils n’apparaissent pas dans un journal de missions. Il n’y a pas de marqueur qui vous dit où aller ni quoi faire. Même dans la façon dont les richesses, les artefacts et les mystères sont présentés sur la carte et la boussole, on dirait que la responsabilité d’explorer et d’examiner le monde est laissée au joueur. Était-ce un choix délibéré? [cette réponse dévoile un élément d’intrigue d’un événement du monde]
DM: Je pense que tout bon jeu a pour mission de permettre au joueur de prendre des décisions intéressantes. Plus vous permettez au joueur de prendre ses propres décisions, plus il se sent impliqué. Donc si vous indiquez un camp de brigands sur une carte et que le joueur sait exactement à quoi s’attendre d’un camp de brigands, vous le privez finalement d’un sentiment de découverte.
Avec notre approche, le joueur ne possède pas toutes les informations. Nous avons la possibilité de le surprendre. C’est une combinaison très précieuse. Par exemple, prenez l’événement du monde « La dernière feuille de l’automne ». [Eivor rencontre une fillette qui surveille anxieusement la dernière feuille d’un arbre car on lui a dit que son père rentrerait à la maison avant que la dernière feuille soit tombée.] Imaginez combien la scène perdrait en intérêt s’il y avait un marqueur de quête qui disait « Parler à la fillette », puis « Tirer sur la feuille »! Le fait de donner au joueur la possibilité de prendre une décision intéressante est important. Vous savez, j’ai vu des joueurs tomber sur cet événement, et il ne leur vient jamais à l’idée de tirer sur la feuille, alors ils s’en vont tout simplement. Et il y a des décisions que vous pouvez prendre qui poussent la fillette à rentrer à la maison, et donc elle est absente lorsque la dernière feuille tombe. L’événement peut se dérouler de plusieurs façons. Mais en abandonnant le marqueur de quête, en retirant les instructions, nous ramenons un élément de surprise, le sentiment d’avoir le contrôle, de choisir comment évolue l’histoire.
Cela signifie aussi que nous devons être très créatifs dans notre façon de concevoir ces événements, puisque nous ne pouvons pas simplement dire « Allez là, tuez ces trois personnages. » Juste de retirer cette béquille, ce réflexe du journal de missions, incite les concepteurs à présenter le contenu de façon beaucoup plus créative, ce qui est super. Se donner des contraintes est la meilleure chose qu’un artiste puisse faire, car cela le pousse à sortir de sa zone de confort et à créer quelque chose de meilleur.
En parlant de créativité, plusieurs événements du monde deviennent des énigmes basées sur l’environnement, une nouveauté pour Assassin’s Creed. Est-ce que cela vous a été inspiré par quelque chose en particulier? Ils me rappellent les caches de survivalistes de Far Cry 5, par exemple.
DM: Une influence initiale a été The Legend of Zelda: Breath of the Wild, mais les caches de survivalistes étaient en effet un de nos éléments préférés de Far Cry 5, donc pour moi, ça revient encore à donner des choix intéressants au joueur. J’aime quand on voit un casse-tête et qu’on sait qu’il y a un trésor quelque part dans les parages, mais qu’il n’y a pas de panneau indiquant comment s’y rendre, et puis on se rend compte qu’il est 60 mètres sous terre. On est obligé de fouiller alentour, d’utiliser l’environnement, de déduire comment se rendre au trésor, que ce soit en tirant sur quelque chose, en faisant exploser un mur ou en escaladant une paroi. Il s’agit encore de confier des décisions intéressantes au joueur, au lieu de lui dire « Allez là, il y a un coffre au trésor. » On l’invite au contraire à explorer un endroit, à examiner l’environnement. Il doit découvrir ce qu’il doit faire pour atteindre le trésor, puis essayer d’y parvenir, essayer quelque chose.
À un moment dans le jeu, je suis tombé sur un homme qui avait une hache dans le crâne et qui ne s’en rendait pas compte. L’interaction a duré seulement deux ou trois minutes, et j’ai fini par retirer la hache et abréger ses souffrances, mais c’est l’un des mystères qui m’a le plus marqué car juste avant que je retire la hache, il s’est mis à me parler d’une ancienne relation et je me suis dit : « Je vais le laisser se remémorer un dernier souvenir heureux avant de mettre fin à ses jours. » Comment faites-vous pour concevoir des histoires aussi mémorables dans un format aussi réduit?
DM: C’est la magie des auteurs et des concepteurs. Il y a énormément d’essai et erreur. Très tôt dans le développement, j’ai écrit la recette des événements du monde. Elle était très générale. Il fallait que ce soit des moments immédiatement mémorables. Il fallait qu’il y ait une interaction intéressante avec les mécaniques du jeu; essayer d’utiliser les mécaniques d’une manière nouvelle. Il fallait qu’ils soient presque aristotéliciens. Il devait y avoir une cohésion dans le temps, le lieu et l’action. Il ne fallait pas qu’ils vous envoient faire quelque chose au loin, car le joueur pourrait oublier les détails avant d’arriver sur place.
C’est tout. C’étaient les grandes lignes, mais le plus important était d’avoir une histoire mémorable et une interaction marquante avec les mécaniques du jeu. À elles seules, ces deux consignes ont poussé les concepteurs et les auteurs à se dire : « Bon. Qu’est-ce qu’on fait? Qu’est-ce que nous n’avons pas encore utilisé? »
Ce que vous avez mentionné avec la hache dans la tête (dans la première version de cet événement), si je me rappelle, le héros disait « hé, tu as une hache dans la tête », puis une des options du dialogue était « je peux l’enlever si tu veux », et ça se faisait automatiquement. Plus tard, les concepteurs ont décidé de changer d’approche, de sortir du dialogue et de laisser le joueur prendre la décision. C’est le joueur qui décide quand retirer la hache. Et en effet, l’homme se met à raconter son histoire, et parfois on voit des joueurs qui sont sur le point d’appuyer sur le bouton et décident d’attendre parce qu’il n’a pas fini de parler, et ils l’écoutent parler un moment... et son dialogue est assez long. Je pense que les concepteurs ont très bien fait de donner ce pouvoir aux joueurs au lieu de résoudre la rencontre dans la cinématique.
Est-ce qu’il y a des événements du monde qui vous touchent particulièrement? En avez-vous un favori? [cette réponse dévoile un élément d’intrigue d’un événement du monde]
DM: Eh bien, nous avons déjà parlé de « La dernière feuille de l’automne ». C’est notre tout premier événement du monde, notre premier test. Nous étions incertains. « Comment est-ce que ça fonctionne? Qu’est-ce que ça donne? »
L’un de nos auteurs a écrit la première version, et quand nous en avons discuté à l’une des premières réunions, quelqu’un a dit « Oh! il faudrait qu’on puisse tirer sur la feuille! » et David, notre concepteur, nous a dit : « Pas de problème. Ça peut se faire. »
Donc, juste par notre façon de développer cet événement, c’est le plus important du jeu pour moi, car c’est notre premier. Et il est plutôt poignant. J’ai tendance à préférer les événements tristes à ceux qui font dans l’humour, mais il y en a aussi des drôles qui sont excellents. Mais pour moi, « La dernière feuille de l’automne » sera toujours la référence, car c’est notre premier.
Assassin’s Creed Valhalla est maintenant disponible sur Xbox Series X|S, Xbox One, PS4, PC, Stadia et Amazon Luna, et paraîtra sur PlayStation 5 le 12 novembre. Pour en savoir plus sur le jeu, consultez nos articles précédents.