27 March 2020

12 min - lecture

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Les femmes d’Ubisoft – Sarrah El-Meddeb

Sur la grande liste des métiers créatifs et cool, les créateurs de mode sont sur un pied d'égalité avec les développeurs de jeux. Sarrah El-Meddeb combine les deux professions. Elle est responsable des costumes de Just Dance chez Ubisoft Paris, et c'est à elle et à son équipe qu'il revient de concevoir, de styliser et d'habiller chacun des entraîneurs, ces danseurs qui guident les joueurs dans chaque chanson. C'est un travail qui ne ressemble pas du tout à celui de la majorité de ses collègues dans l'industrie du jeu, mais qui convient parfaitement à Sarrah. Nous nous sommes récemment entretenus avec elle pour savoir comment elle s'est intégrée à l'industrie du jeu vidéo, en quoi ce milieu diffère du monde de la mode et comment son équipe s'y prend afin de créer une tenue pour Just Dance.

Parlez-nous un peu de votre parcours. Comment une créatrice de mode se retrouve-t-elle dans l'industrie du jeu vidéo?

Sarrah El-Meddeb: Je viens du monde de la mode. J'ai travaillé dans des bureaux très tendance. Ensuite, j'ai œuvré comme styliste de mode pour des marques de sous-vêtements féminins et masculins. C'était intéressant, mais il est difficile d'être créative dans ce domaine.

Après quelques années, j'ai décidé de m'installer à Shanghai pour un an afin d'enseigner la mode parisienne dans une école secondaire. Quand je suis finalement revenue à Paris, il y a sept ans, je cherchais un emploi et j'ai entendu dire qu'ils étaient à la recherche d'un styliste pour travailler sur Just Dance. J'ai donc posé ma candidature et j'ai obtenu le poste. L'univers du jeu vidéo était vraiment mystérieux et étrange pour moi à l'époque, car je n'étais pas une joueuse. Rejoindre Ubisoft représentait donc un nouveau genre de défi.

À la base, qu'est-ce qui vous a attiré vers la mode?

SE: C'est un peu cliché, mais je suis attirée par ça depuis que je suis petite. Je dessinais beaucoup de silhouettes féminines. J'ai fini par découvrir l'existence des écoles de mode. Ça n'a toutefois pas été simple d'y accéder, car je suis née en Tunisie.

Mon père est tunisien et ma mère est espagnole, et ils vivaient en Tunisie. J'ai grandi là-bas, mais j'étais toujours fascinée par la culture européenne, dans laquelle je baignais. Je fréquentais une école européenne. Très tôt, j'ai su que je n'allais pas bâtir ma vie professionnelle en Tunisie. Je savais que si je voulais devenir créatrice de mode, je devais aller dans un autre pays pour le faire.

Je suis donc allée dans une école de mode publique dans le sud de la France. Ce fut une période très formatrice dans ma vie. Je me suis interrogée sur ce que je voulais faire, et j'ai beaucoup expérimenté. J'ai étudié dans une école d'art dans le nord de la France pour devenir artiste textile. J'y ai passé trois ans. Je suis même allée à Bamako, au Mali, pour apprendre les techniques traditionnelles de teinture et pour travailler avec des tissus sculpturaux. Mais j'ai fini par décider que je voulais revenir à la mode traditionnelle.

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Vous avez beaucoup d'expérience dans la mode plus traditionnelle. Qu'est-ce qui vous a donné envie de postuler chez une entreprise de jeux vidéo?

SE: Parce que c'était vraiment inusité. Je me suis toujours demandé qui était responsable de la conception des personnages de jeux vidéo. Je voulais savoir s'il y avait des gens qui concevaient les costumes. Et quand j'ai entendu dire qu'Ubisoft cherchait un créateur de mode, je me suis dit qu'il fallait que j'essaie. Honnêtement, je n'avais même pas entendu parler de Just Dance. Je n'y avais jamais joué avant de rejoindre Ubisoft.

On ne rencontre pas souvent de créateurs de mode qui travaillent sur des jeux. Êtes-vous uniques en votre genre, vous et votre équipe?

SE: C'est exceptionnel, et je dis ça parce que je ne pourrais pas trouver d'autre poste comme celui-ci pour d'autres jeux vidéo. Je ne peux pas trouver quoi que ce soit qui ressemble à ce que je fais ici. Ce qui s'en rapproche le plus, ça serait la conception des personnages. Dans notre cas, c'est très spécifique parce que nous travaillons sur l'aspect mode des personnages. Nous créons des personnages, c'est plus proche du cinéma que des jeux typiques.

Il est vraiment rare d'être dans cette position, de faire ce que nous faisons. Je pense pouvoir dire que c'est le seul jeu où l'on doit créer le costume directement sur le danseur dans la vie réelle. Le travail de conception n'est pas que virtuel, il faut aussi concevoir de façon concrète.

Que fait un responsable des costumes sur Just Dance, plus précisément?

SE: Je fais partie de l'équipe créative de Just Dance. Donc, quand nous recevons les listes de chansons, nous organisons une réunion de remue-méninges pour échanger nos impressions et ce que nous imaginons pour chaque chanson.

Par exemple, quand j'entends une chanson, je me dis : « D'accord. J'imagine que l'entraîneur est célibataire et qu'il est un peu mystérieux ». Nous échangeons ensuite des idées jusqu'à avoir une vision claire de ce que nous voulons réaliser avec la chanson. Puis, j'informe mon équipe de la vision adoptée et nous commençons à travailler le style. Nous cherchons d'abord de l'inspiration et des références. Nous nous inspirons de nombreux univers différents : la mode, le cinéma, le divertissement. Une fois que nous sommes d'accord sur la direction à prendre, nous entamons la phase de conception en faisant des croquis.

Une fois que nous avons un dessin, nous retournons voir l'équipe de création. Et quand tout le monde est d'accord, nous commençons la présentation du costume, un document destiné à notre équipe de costumiers qui leur donne une idée de notre intention, des formes, de la texture du tissu, de la couleur.

Nous consacrons environ 10 à 13 jours à la création d'un costume. Nous rencontrons le danseur trois fois au cours de cette période. Nous avons le premier essayage, qui sert surtout à prendre les mensurations. Le deuxième essayage est beaucoup plus précis, et le troisième permet de finaliser le tout. Ensuite, le costume est prêt pour le tournage.

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Certaines chansons ont des thèmes qui leur sont attachés, comme « Naughty Girl » de Beyoncé, qui évoque les Mille et une nuits. Participez-vous au choix du thème, ou bien on vous le donne et vous devez ensuite fabriquer un costume en conséquence?

SE: Nous avons l'habitude de trouver ces idées avec l'équipe créative. Par exemple, le directeur de la création peut nous dire qu'il veut une chanson un peu fofolle, et dans ce cas, nous pouvons par exemple créer des mascottes ou autres choses de ce genre.

Pouvez-vous illustrer le processus d'écoute d'une chanson et de la conception de sa tenue?

SE: Pour « God is a Woman », quand nous avons entendu la chanson, nous nous sommes dit : « D'accord, c'est sûr que c'est un solo et que c'est une femme. C'est une femme forte. Elle voyage. Elle voyage dans l'espace. Je pense que ce sera quelque chose d'abstrait. Pourquoi ne pas essayer de faire quelque chose qui rappelle l'espace et les étoiles? »

Avec ces idées, nous sommes passés à la production. Nous avons fait faire un costume très étonnant avec une imprimante 3D, puis avec beaucoup de matériaux réfléchissants brillants et des motifs d'encre flottants pour les fonds. C'était un concept ambitieux, et c'était très intéressant d'opter pour cette esthétique.

Et puis pour « Ma Itu », une chanson composée pour Just Dance 2020, nous avons travaillé avec Stella Mwangi. C'était un concept africain et futuriste. J'ai proposé cette idée il y a quelques années, et nous voulions vraiment qu'elle soit portée par un personnage fort. L'esthétique était unique, mais c'était une collaboration originale; il n'y avait pas de chanson quand nous avons développé le concept.

Nous avons présenté le concept, le costume et les décors à Stella Mwangi, et avons créé la chanson. C'était super intéressant aussi, parce que c'était en fait l'inverse du processus normal; c'est nous qui avons inspiré la chanson cette fois-ci. C'était vraiment stimulant de travailler de cette façon.

Y a-t-il un aspect que vous préférez dans votre travail?

SE: Le début de la conception, parce que nous avons des centaines d'idées. Nous voulons faire beaucoup de choses, et nous en essayons beaucoup. Nous proposons toujours de nouveaux concepts, et le commencement est une phase très intéressante. La partie concept est passionnante.

Quelle est la plus grande différence entre travailler sur Just Dance et travailler dans le domaine de la mode plus traditionnelle?

SE: Oh, la réponse est vraiment facile : c'est qu'il faut être originaux et uniques chaque fois. Vous savez, quand vous êtes un créateur de mode, un créateur de mode classique, vous avez votre spécialisation. Vous travaillez sur un univers en particulier, et vous êtes en quelque sorte un maître de cet univers.

Ici, sur Just Dance, on doit maîtriser tout, n'importe quel type de style. Il faut être capable de créer une fille très à la mode. Il faut être capable de créer une mascotte vraiment rigolote. Il faut être capable de parler aux enfants et aux adultes, et c'est vraiment un défi.

On dirait que vous avez plus souvent l'occasion de faire travailler vos muscles créatifs.

SE: Tout le temps, tout le temps, tout le temps (rires). Absolument. Je pense qu'à mesure que la technologie évolue, nous avons de plus en plus de possibilités créatives. C'est vraiment intéressant, parce qu'il faut se remettre en question systématiquement pour que nos créations restent pertinentes.

Dans la mode, vous travaillez sur les vêtements. Dans notre cas, il s'agit davantage de créer des personnages. Il faut surtout penser à des archétypes, et à la façon dont on peut créer cet archétype à travers les tenues.

J'imagine aussi que l'industrie de la mode n'est pas autant dominée par les hommes?

SE: Oui, c'était assez intéressant de découvrir cette [disparité des sexes] de l'intérieur, cet univers geek, en tant que fille et en tant que fille passionnée par la mode. Vous voyez ce que je veux dire?

Ce que j'aime dans mon travail chez Ubisoft et sur Just Dance, c'est qu'ils m'ont recrutée en raison de mon expertise dans le domaine de la mode. Parce que personne ici n'en savait beaucoup là-dessus. Et vous savez, la mode était pour ainsi dire mystérieuse. C'était tellement agréable d'être dans ce genre d'univers où l'on peut s'exprimer et montrer toute sa créativité devant des gens qui ne savent pas exactement de quoi vous parlez, et qui vous font tout simplement confiance.

Je pense que lorsqu'on regarde l'industrie du jeu vidéo, surtout dans le passé, on voit beaucoup de clichés dans le traitement de la silhouette, vous savez, les gros seins et des choses comme ça. Sur Just Dance, nous essayons de travailler avec des proportions et des personnes réalistes. Et nous essayons d'être de plus en plus inclusifs en ce qui concerne les silhouettes.

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Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui veut faire ce que vous faites?

SE: Soyez curieux. Soyez curieux et soyez prêt à apprendre et à vous adapter. Je me souviens que pour un certain entraîneur de Just Dance, j'étais vraiment insatisfaite du résultat, mais ensuite nous avons vu la réaction des joueurs et ils ont adoré. J'ai donc réalisé qu'il y avait quelque chose que je ne comprenais pas.

Nous avons eu des problèmes liés à certaines contraintes techniques et avons dû choisir une frange un peu trop épaisse. Et les pantalons étaient ordinaires. Les jours de tournage, nous avons eu des problèmes avec la perruque; elle était trop rigide. Ce n'était pas exactement ce que nous voulions. Mais finalement, tous les fans ont aimé le costume.

Parfois, la mode ressemble à une forme d'art où les gens ne savent pas ce qu'ils aiment tant qu'on ne leur a pas montré ce qu'ils doivent aimer. Comment trouver un équilibre entre le fait de donner aux gens ce qu'ils veulent et leur montrer ce qu'ils ne connaissent peut-être pas encore?

SE: C'est une bien grande question, et je suis toujours divisée entre les deux. Par exemple, je parlais de « God is a Woman » et de l'impression du costume en 3D. J'étais très fière de ce costume. Mais les fans, quand ils ont vu la carte, ils se sont dit : « On ne comprend pas pourquoi vous avez décidé de faire un costume de cuillère ». Et je me suis dit : « Quoi? Vous avez mal interprété notre intention. »

Parfois, le véritable défi consiste à essayer d'être plus évident. Parce qu'il arrive qu'on investisse beaucoup d'efforts dans sa création. On peut mettre beaucoup de temps et d'énergie dans le concept, mais si ce n'est pas compréhensible au premier coup d'œil, c'est un échec. En fin de compte, le concept fonctionne pour moi quand les fans comprennent ce que nous avons fait.

Ce n'est pas la même chose dans la mode. Là, on s'en fiche. Si vous êtes créateur de mode, vous faites ce que vous voulez, et s'ils ne comprennent pas, tant pis. Le défi ici, c'est qu'on doit se faire comprendre.

Avez-vous des conseils de mode à offrir à nos lecteurs?

SE: Honnêtement, c'est un peu cliché, mais soyez vous-même. N'essayez pas de suivre quelqu'un d'autre. Si vous vous sentez bien à l'intérieur, vous serez superbe à l'extérieur.

Pour lire d’autres entrevues comme celle-ci, consultez nos portraits de la série Les femmes d’Ubisoft.

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