Si vous prêtez attention au générique des derniers épisodes de « The Mandalorian », la série dramatique Star Wars de Disney+ suivant un chasseur de primes errant et son précieux butin, vous y trouverez un nom familier mais peut-être inattendu : Ubisoft. Il s’agit plus précisément d’Ubisoft Hybride, un studio qui réalise des effets visuels immersifs et époustouflants pour le cinéma et la télévision depuis près de trente ans. Les artistes et producteurs d’Hybride ont démontré leurs talents dans des projets variés allant des visuels très stylisés des champs de bataille de « 300 » au langage extra-terrestre de « L’Arrivée ». En outre, « The Mandalorian » est loin d’être leur premier projet Star Wars.
Il a cependant présenté des défis uniques, puisque le studio a commencé à plancher sur la seconde saison pendant la pandémie de COVID-19. Pour savoir comment Hybride a adapté son pipeline de production sophistiqué à la nouvelle réalité du télétravail et comment le studio parvient à suivre les évolutions technologiques et à ouvrir la voie avec ses propres innovations, nous nous sommes entretenus avec le cofondateur du studio, Pierre Raymond, au sujet de l’histoire du studio et des espoirs qu’il nourrit de renforcer les relations entre Hybride et les studios de jeux vidéo d’Ubisoft.
CRÉER DES PARTENARIATS GRÂCE À DES ROBOTS GÉANTS
L’histoire d’Hybride est tissée autour de ses relations. Vers la fin des années 90, le studio qui avait jusqu’alors travaillé principalement pour la télévision était en train de se réorienter vers le cinéma et a eu l’occasion de produire des effets visuels pour le film « Les Ensaignants », dirigé par Robert Rodriguez. Après ce partenariat, leur relation s’est développée et Hybride a travaillé sur la série « Espions en herbe », puis s’est vu offrir un rôle plus important dans une production en préparation.
« Puisque nous avions pas mal d’expérience et des gens très talentueux en graphisme, se remémore M. Raymond, nous avons établi le style visuel de "Sin City" [l’adaptation cinématographique de Rodriguez de la bande dessinée noire de Frank Miller]. Après, nous nous sommes mis à travailler sur ce genre de projet de plus grande envergure, et voilà où nous sommes aujourd’hui. Ça n’a jamais arrêté. »
Contribuer à l’élaboration du style visuel distinctif de « Sin City » a confirmé les multiples talents d’Hybride, et le studio a été racheté par Ubisoft quelques années plus tard. « Nous ne sommes pas de simples sous-traitants, nous sommes des participants actifs, continue M. Raymond. Nous devons toujours nous rappeler que nous sommes là pour renforcer la qualité du film et aider à raconter son histoire. Nous avons réalisé que nous pouvions être plus qu’un simple fournisseur de services et contribuer directement à porter la vision des directeurs à l’écran. »
En plus de son talent artistique et de sa vision créative, Hybride possède l’expertise technologique pour repousser les limites encore plus loin. Par exemple, en travaillant sur « Warcraft », Hybride a mis à profit son expérience en simulation de foules pour créer de gigantesques rassemblements. « Il y a avait 72 orcs et 12 humains distincts, explique M. Raymond. Chaque personnage représente des milliers de textures et des millions de polygones. Certaines foules avaient entre 50 et 1000 individus par plan, et les plans plus larges pouvaient avoir jusqu’à 6000 personnages, chacun avec sa propre animation, pour un total d’environ 900 millions de polygones. »
Pour accomplir cet exploit, Hybride a collaboré étroitement avec l’équipe de squelettage d’Industrial Light & Magic. Fondée en 1975 par George Lucas pour créer les effets spéciaux de « Star Wars », ILM a contribué à définir le domaine des effets visuels et demeure l’un de ses pionniers à ce jour. Pour la collaboration sur « Warcraft », les programmeurs d’Hybride ont développé un tout nouveau pipeline de foules leur permettant de charger les éléments en haute définition d’ILM dans leur propre système. Au sujet de cette approche, M. Raymond ajoute : « Puisque nous avons une division recherche et développement, il n’est pas rare que nous créions nos propres logiciels pour parvenir à nos fins. »
Un autre projet sur lequel le studio a collaboré avec ILM est « Pacific Rim », un film dans lequel des humains affrontent des monstres gigantesques en contrôlant d’énormes robots de combat humanoïdes à partir d’un cockpit situé au niveau de la tête. « Ils avaient du mal avec les hologrammes connectés aux tenues des pilotes, raconte M. Raymond. Les combats étaient confus en raison du montage rapide, car c’était trop difficile de suivre qui était dans le robot chinois, dans le robot russe, dans le robot américain, etc. Nous avons élaboré des signatures visuelles pour aider les spectateurs à reconnaître le pays d’origine de chaque robot instantanément.
Après avoir collaboré sur Pacific Rim, ILM et Hybride ont conclu une alliance stratégique afin de continuer à travailler de concert. Dans les années qui ont suivi, la relation entre Hybride et ILM les a menés à collaborer sur plus d’une dizaine de films, dont « Rogue One », « Solo » et toute la trilogie de suites de « Star Wars ». Pour M. Raymond et son équipe, cette expérience a été on ne peut plus intéressante : « Il faut comprendre que, pour les gens de ma génération, les films "Star Wars" sont probablement la raison même de notre présence dans le domaine des effets visuels. »
UNE GALAXIE LOINTAINE, TRÈS LOINTAINE (DU BUREAU)
Avance rapide sur 2020, alors que l’équipe avait entamé le travail sur la saison 2 de « The Mandalorian ». La liste de plans avait presque doublé et ils devaient livrer 883 plans d’effets visuels pour cette seconde saison, comparativement à 451 pour la première. C’était leur plus important projet commun avec Lucasfilm et Disney à ce jour. Les plans en question incluaient des créatures reptiliennes démesurées vivant dans le désert, des droïdes de réparation effrontés, des troopers mécaniques sinistres, des motojets, des effets de Force et le vaisseau du personnage vedette, le « Razor Crest ». Vous pourrez en apprendre davantage sur ce projet à la page portfolio d’Hybride, mais disons simplement qu’ils avaient du pain sur la planche. Puis la pandémie de COVID-19 a frappé.
De nombreux milieux de travail ont dû s’adapter au télétravail en permettant aux employés de se connecter à un réseau interne de manière sécuritaire, mais pour un studio d’effets visuels manipulant des fichiers vidéo massifs, la situation était un peu plus complexe. Les employés n’ont pas le droit de télécharger les plans sur leurs ordinateurs personnels, comme nous l’explique M. Raymond, et tout délai introduit par une connexion à distance peut lourdement compromettre le processus de montage. Heureusement, le studio avait une solution toute prête.
« Notre siège social est situé dans les Laurentides, environ 100 kilomètres au nord de Montréal, entouré de stations de ski, décrit M. Raymond. Nous sommes chanceux car nous avions ouvert une autre division à Montréal et nous avions déjà installé des logiciels permettant aux deux succursales de collaborer sur une ligne à haut débit. Nous avons réalisé que le protocole que nous avions établi entre les deux studios pouvait être répliqué et étendu entre 150 personnes. C’était un peu comme avoir 150 studios en réseau. »
Outre la solution technologique, l’aspect humain a aidé Hybride à préserver sa productivité. « Notre équipe comprend de nombreux professionnels qui ont 20 à 25 ans d’expérience dans la même entreprise. Ils connaissent leurs outils et technologies de fond en comble, et quand on a autant d’année d’expérience commune, on se comprend mieux tout en ayant moins besoin de communiquer. Cela nous a beaucoup aidés. »
Au final, Hybride est parvenu à livrer son impressionnant carnet de commande, y compris des scènes tournées sur un plateau virtuel avec des arrière-plans d’écrans DEL. Pour un studio habitué à travailler sur des films employant énormément d’écrans verts comme « Sin City » et « 300 », ce n’était ni plus ni moins qu’une adaptation de plus dans une longue série d’évolutions permettant de suivre les dernières avancées technologiques. « Nous arrivons à faire des choses vraiment formidables, conclut M. Raymond, mais nous devons toujours garder à l’esprit que nous sommes là pour raconter l’histoire. Nous travaillons au succès du film ou de l’émission. »
DE NOUVEAUX HORIZONS CHEZ UBISOFT
En tant que studio Ubisoft, Hybride a principalement travaillé à l’écart du développement de jeux vidéo qui constitue la majeure partie des créations d’Ubisoft. Toutefois, cela pourrait être sur le point de changer puisque M. Raymond a récemment quitté son poste de président et directeur général afin de se concentrer sur le renforcement des liens avec différentes équipes Ubisoft. Bien qu’un studio d’effets visuels et un studio de jeux vidéo peuvent sembler faits pour coexister, l’envergure et la complexité de leurs projets ont toujours été très différentes.
« Plus que jamais, c’est le moment de commencer [à faire des rapprochements], car les jeux commencent à adopter des pipelines qui ressemblent davantage à ceux que nous utilisons. Ils utilisent exactement la même résolution d’image que nous. Parce qu’ils sont contraints de gérer 120 images par seconde dans leurs interactions avec les joueurs, ils peuvent générer du contenu en temps réel à l’aide de nuanceurs et de diverses techniques que les ingénieurs du jeu vidéo maîtrisent mieux que moi. »
Hybride, au contraire, passe des heures à produire une seule image, et même si M. Raymond note que le studio vise une qualité d’image « légèrement supérieure » à celle des jeux vidéo en produisant pour le grand écran, « il y a d’importants rapprochements à faire entre les deux mondes, et c’est exactement là-dessus que je vais me pencher dans les prochaines années. »
M. Raymond espère accroître les échanges de connaissances de manière à profiter à toutes les parties. « [Mon objectif est de] mieux connaître les moteurs de jeu utilisés et les avantages qu’Hybride pourrait en tirer dans le rendu d’images cinématographiques, par exemple. C’est la même chose du côté des logiciels que nous concevons : toute la gestion de nos projets de films repose sur des logiciels que nous écrivons à partir de rien, et ce travail pourrait servir à certaines divisions d’Ubisoft. C’est le genre de projet qui nous intéresse en ce moment, et nous progressons dans cette direction. »
Évidemment, les outils techniques et la performance ne sont qu’un aspect des jeux vidéo; après tout, les développeurs sont aussi des raconteurs. Pour une personne qui a participé à raconter des histoires pendant plus de trois décennies, qu’est-ce qui attire l’attention de M. Raymond dans le monde d’Ubisoft?
« Je dirais que j’ai beaucoup participé à "Assassin’s Creed: Lineage" », une série de courts métrages servant d’antépisodes à Assassin’s Creed II. « J’aime beaucoup le fait qu’elle alterne entre les époques et vous fait découvrir différentes cultures. On peut faire un film de James Bond au Japon, puis un autre en Italie, mais ce n’est pas la même chose. Avec Assassin’s Creed, vous ne faites pas que changer d’endroit, vous changez d’époque, de style, de culture. C’est extrêmement intéressant. »
Pour en savoir plus au sujet des studios Ubisoft et de leurs créateurs de partout dans le monde, visitez notre page des actualités des Coulisses d’Ubisoft.