22 March 2024

14 min - lecture

assassins creedassassins creed mirage

Comment d’un simple DLC, Assassin’s Creed Mirage est devenu un jeu à part entière

Le concept d'Assassin's Creed Mirage était celui d'un hommage à la franchise, pour en fêter la genèse et les accomplissements, d'Assassin's Creed de 2007 à Mirage de 2023. Ébauche d'idée pour un DLC qui emmènerait Eivor au Moyen-Orient, le titre a évolué pour devenir une préquelle autonome mettant en scène Basim, personnage énigmatique de Valhalla qui appartient au clan de « Ceux qu'on ne voit pas ». Développé par Ubisoft Bordeaux qui souhaitait développer un opus de plus petite envergure, ce retour aux sources présentait un ensemble bien précis de défis qui ont été évoqués pendant le discours du 22 mars à la GDC « Entre héritage et modernité : créer un jeu qui rend hommage aux 15 ans de la franchise d'Assassin's Creed. »

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Pendant le discours, Stéphane Boudon (directeur créatif) et Fabian Salomon (producteur principal) parlent des prémices du jeu, de son évolution en « remoot » - néologisme à mi-chemin entre le remake et le reboot - et de la manière dont une approche rationalisée a permis de prendre des décisions difficiles et de mettre l'accent sur une expérience 100 % Assassin. Pour en découvrir plus, nous nous sommes entretenus avec Boudon et Salomon au sujet des concepts préliminaires qui ont façonné le jeu, d'une poignée de fonctionnalités abandonnées pendant le développement et de la furtivité, que Mirage réintègre et peaufine à l'extrême pour en faire un pilier du gameplay.

Lors de votre discours, vous avez indiqué qu'au tout début, Assassin's Creed Mirage se destinait à être un DLC pour Valhalla, où Eivor se rendrait au Moyen-Orient. Si on s'en tient au pitch initial, à quoi cette aventure aurait-elle ressemblé ?

Stéphane Boudon : Il s'agissait plus de l'ébauche d'une idée, d'une simple diapo dans une présentation PowerPoint. Ce concept était donc plutôt brut de décoffrage, et davantage la force motrice du premier pitch, l'objectif étant surtout de revenir au Moyen-Orient. nous nous sommes penchés sur l'époque du XIXe siècle pour en apprendre plus au sujet de cette région, par exemple, quels en étaient les lieux principaux, et tous les chemins ont rapidement mené à Bagdad. C'était une ville effervescente qui brillait par sa diversité et se trouvait au centre du monde islamique. On a alors jeté un coup d'œil à toutes les histoires ayant trait à Bagdad de près ou de loin, à toutes les inventions qui y ont vu le jour, à tout ce que nous pourrions utiliser comme éléments narratifs, et il est devenu évident que cette cité était un emplacement clé auquel nous devions nous intéresser de très près. Pendant que nous cherchions une raison pour situer l'action à Bagdad, Basim a tout naturellement été évoqué, parce que c'est sa ville natale. Lorsqu'on a décidé d'opter pour un titre autonome, on était plus ou moins convaincus que les 3C [ndlr : character (personnage), controls (commandes), camera (caméra)] d'Eivor passeraient à la trappe, car incarner un Assassin se traduirait par une approche plus poussée et plus raffinée de la furtivité et du parkour, en opposition directe au côté « mastodonte » d'un Viking. Nous avons donc jeté notre dévolu sur Basim.

Si Bagdad n'a pas été évoquée lors du pitch initial, l'idée était-elle de retourner dans une ou plusieurs villes du premier jeu, comme Acre, Jérusalem ou Damas ?

SB : Oui, exactement. Au début, Acre, Jérusalem ou Damas étaient envisagées, et nous avons même examiné des ruines nabatéennes. En fait, nous nous sommes intéressés à tous les lieux qui retranscrivaient l'ambiance caractéristique du Moyen-Orient, car c'est une région où nous trouverions des Assassins en activité. Alors, nous avons essayé de « boucler la boucle » et de recréer plus ou moins l'histoire de Bayek, comment celui-ci, après Origins, a fondé des Bureaux au Moyen-Orient. Par exemple, selon certaines informations, il avait établi des Bureaux dans une cité nabatéenne. Par conséquent, nous avons suivi les différents éléments narratifs éparpillés ici et là, pour en puiser les meilleures idées.

Fabian Salomon : D'un point de vue chronologique, entre l'idée de développer une extension pour Valhalla et la création d'un jeu autonome, une refonte du personnage principal s'imposait, d'où la raison pour laquelle nous avons pensé à Basim. Nous avons également remarqué que pendant le XIXe siècle, Acre, Jérusalem ou Damas n'étaient pas à leur apogée, et loin d'être aussi intéressantes qu'à l'époque des première et deuxième croisades. Bagdad a donc prédominé sans difficulté, parce qu'au XIXe siècle, il s'agissait du lieu culturel, religieux et scientifique le plus important du monde arabe.

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Lors de votre présentation, vous expliquez que la furtivité joue un rôle beaucoup plus important dans Assassin's Creed Mirage que dans Valhalla. Vous dites également que vous vous êtes inspirés de la discussion "Modélisation de l'IA, de la perception et de la conscience dans Splinter Cell: Blacklist" au GDC de 2014 pour remanier la furtivité dans Mirage. Quels sont quelques-uns des exemples d'éléments que vous avez dû changer ou ajouter pour que la furtivité devienne un pilier essentiel du jeu ?

SB : À nos yeux, la furtivité représentait un défi majeur parce qu'il s'agit d'une fonctionnalité très exigeante à laquelle les joueurs doivent pouvoir se fier corps et âme. Nous nous sommes donc posé les questions suivantes : comment procéder pour implémenter un système de détection juste et loyal ? Et quelle distance de détection peut être considérée comme idéale ? En effet, si vous vous trouvez à côté d'un PNJ et qu'il ne vous voit pas, il donne une impression d'incompétence, mais s'il vous repère trop facilement à mille lieues de lui, il semble ultra-puissant, ce qui est ultra-frustrant. Alors, cette approche s'est traduite par un grand nombre d'ajustements à un système classique de mécaniques de furtivité, et également par des playtests à n'en plus finir. L'objectif était d'examiner tous les systèmes déjà en place et de déterminer ceux qui pouvaient être améliorés.

Le cône de vision des PNJ, par exemple, figurait parmi les éléments perfectibles. En fait, ce système n'est pas du tout réaliste. Dans la vraie vie, notre champ de vision est d'environ 180 degrés et se présente sous la forme d'un cercueil [effilé en dedans vers l'extrémité pour créer une zone de détection plus petite à une certaine distance] sans angle net et précis. On triche un peu avec les lois de la physique pour que le joueur ait le sentiment d'être maître de la situation et d'évoluer au sein d'un système juste et loyal. Après cela, nous devions travailler sur le comportement des ennemis : ils sont surpris lorsqu'ils vous voient. Nous avons donc réimplémenté l'état de « recherche » qui brillait par son absence dans Valhalla, et conférait plus de « granularité » et de « lisibilité » à l'attitude de ces PNJ. Le joueur peut ainsi faire confiance au système, mieux le comprendre et réaliser les bons gestes pour éviter une capture.

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Assassin's Creed Mirage est plus urbain que ses prédécesseurs immédiats. Par conséquent, le parkour a joué également un rôle majeur lors du développement. Dans votre présentation, vous parlez de la création d'« autoroutes », c'est-à-dire de chemins non balisés, mais évidents que les joueurs peuvent emprunter pour franchir de manière optimale les toitures et obstacles. Vous évoquez aussi le besoin d'équipes d'intervention pour tester ces « chemins » et les peaufiner après la bêta. Comment ces autoroutes évoluent-elles ? À quelle phase du développement sont-elles décidées ?

SB : Les autoroutes sont un concept dont la genèse date du tout début d'Assassin's Creed. Je pense que le terme « autoroute » a été évoqué pour la première fois dans Assassin's Creed Revelations, mais bien avant cela, les développeurs essayaient de créer des chemins définis. Tout a commencé avec de petits morceaux d'étoffe blanche qui apparaissent ici et là. Ils semblent vous indiquer une direction bien précise en vous disant « hé, si tu vois des bouts de tissu blanc et que tu les suis, tu pourras atteindre un endroit spécifique ». On pourrait les considérer comme des miettes de pain : elles sont artificielles, mais nous permettent de transmettre des informations aux joueurs.

Nous avons pensé aux autoroutes à un stade précoce du développement, pendant la conception du jeu. Le chemin est déjà tracé sur la grande carte, et nous savons que tel ou tel lieu doit être facile d'accès parce que l'histoire l'exige, et nous voulons que chaque zone importante de Bagdad soit reliée à ces autoroutes. Mais à un certain stade de la production, les infographistes y ajoutent des éléments visuels. Le gameplay apporte également son lot de contenu, dont des ennemis. Il faut donc continuer à peaufiner ces zones pour en garantir le bon fonctionnement jusqu'à la fin du jeu. C'est pour cela qu'à un moment ou à un autre, après la bêta pour être plus précis, nous avons dû dédier une équipe spécifique aux autoroutes pour veiller à leur fiabilité. En résumé, ces autoroutes ne doivent pas être difficilement praticables ou mal indiquées au point de s'y perdre.

Y a-t-il eu beaucoup de changement pendant le testing ? Avez-vous remarqué, par exemple, que les playtesteurs semblaient vouloir emprunter certains itinéraires où il n'y avait pas d'autoroutes ? Ou voulaient-ils plutôt que les indications soient plus claires pour diriger les joueurs vers des éléments déjà présents ?

SB : La plupart du temps, ils demandaient des indications pour diriger les joueurs vers des éléments déjà présents. Pour cela, nous avons recours à d'innombrables données générées par les développeurs lors de leurs sessions de jeu. On utilise aussi des données propres aux joueurs, issues des playtests, ainsi qu'une carte thermique des déplacements de tous ces joueurs. Et si à un moment ou à un autre, on remarque qu'ils mettent trop de temps à emprunter un chemin bien précis, et ce, pour une quelconque raison, par exemple un nouveau point intéressant que l'on a ajouté à une certaine étape du développement sans trop y réfléchir, eh bien, on peut alors apporter les modifications nécessaires pour optimiser la situation.

Vous avez également abordé le sujet de fonctionnalités spécifiques qu'il a fallu supprimer en cours de route, en partie à cause du besoin de rationaliser le développement : un ennemi qui commandait des chiens, des tempêtes de sable et un singe compagnon pour Basim. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces fonctionnalités et sur les raisons de leur suppression ?

SB : Bien sûr. Avant tout, sachez qu'on ne supprime jamais des fonctionnalités de gaieté de cœur. Mais dans certains cas, il y a une bonne raison. Le singe compagnon en est un excellent exemple : il a été supprimé très tôt, ce n'était encore qu'un concept sur le papier. Cela dit, cette décision s'explique facilement. Tout d'abord, une telle fonctionnalité coûte les yeux de la tête. Elle requiert de nombreuses animations. Il faut donc réaliser des captures de mouvements d'un singe, et nous ne disposons pas de l'infrastructure nécessaire à Bordeaux, dont le studio est plus petit que celui de Montréal. Mais même au-delà de la logistique, lorsqu'on se penche sur la question, les singes à Bagdad au XIXe siècle sont une idée fausse. Si cet animal nous vient systématiquement à l'esprit dans ce contexte, c'est à cause d'Aladdin. Mais la précision est capitale dans le monde d'Assassin's Creed, et le fait est qu'il n'y avait pas de singes à Bagdad au XIXe siècle. Alors, certes, le gameplay aurait bénéficié de cette fonctionnalité, mais nous aurions probablement été loin de la vérité.

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Quelle était l'idée originale pour la présence d'un singe dans le jeu ? Aurait-il fait office de détrousseur qui vous suivait partout ?

SB : Oui, l'idée de base était, entre autres, qu'il pourrait exécuter des techniques de parkour pour infiltrer des lieux bien précis et détrousser des PNJ de leurs clés, ou encore jouer le rôle de leurre afin de détourner l'attention des gardes.

Qu'est-ce que les tempêtes de sable auraient ajouté ou enlevé au jeu, outre la visibilité ?

SB : Les tempêtes de sable constituaient également un sujet complexe et en fait, ce n'est pas une nouveauté, puisqu'on en avait déjà vu dans Assassin's Creed Origins. C'était un concept plutôt sympa, mais il y avait une différence fondamentale : cette fois, nous voulions créer une ville dynamique qui se trouvait à l'épicentre de l'expérience. Dans Assassin's Creed Origins, les tempêtes de sable ont toujours lieu à l'extérieur des villes, là où il ne se passe rien d'autre. Pour Mirage, ce n'était pas possible d'aller dans cette direction. Une telle fonctionnalité aurait entraîné des répercussions considérables sur le comportement du joueur et des personnages : les PNJ se seraient sauvés en se protégeant. Il aurait donc fallu créer différentes animations. Sans compter que tout aurait été impacté dans le jeu, chaque élément, chaque système, même la détection, les gardes... La charge aurait été tout simplement trop lourde pour être gérable.

Les ennemis chiens et les maîtres-chiens ont été supprimés assez tard dans la production, pendant la phase alpha. Cette décision a-t-elle été prise parce que vous auriez été obligés de développer un différent type d'I.A. ennemie, ou plutôt pour éviter que les joueurs ne doivent pas se battre avec des chiens ?

SB : À un certain stade du développement, nous devons nous concentrer sur des types d'ennemis bien précis pour leur faire atteindre le niveau de réalisme le plus élevé possible. Et lorsque nous avons parlé des fonctionnalités à supprimer, le sujet du chien a été abordé tout naturellement : au début du jeu, le joueur ne dispose pas de moyens de neutraliser un chien de manière non létale. Même s'il peut s'équiper de fléchettes soporifiques, celles-ci ne sont disponibles que plus tard. Nous n'offrons donc pas suffisamment de solutions aux joueurs pour éviter de tuer le chien. Nous sommes nombreux à aimer les animaux au sein de l'équipe de production, et nous ne voulions pas obliger le joueur à faire du mal à un chien. La décision a donc été vite prise.

Avec les montures, par contre, vous avez fait le contraire, et mis tout en œuvre pour qu'elles puissent s'intégrer à la ville, en réduisant leur vitesse, en installant des blocages au niveau des escaliers pour les empêcher d'accéder aux toitures, et en ajoutant de nouvelles animations pour Basim lorsqu'il baisse la tête pour éviter des obstacles bas.

SB : Nous aurions pu retirer le cheval de la ville. À dire vrai, plusieurs membres de l'équipe l'ont proposé, et ça n'aurait pas nui au jeu outre mesure. Mais passé un certain stade, tout est question d'équilibre. Nous cherchons toujours à améliorer ce qui a été fait précédemment, et à ne jamais supprimer des éléments que les joueurs considèrent comme acquis. Je pense qu'ils ont raison : les jeux vidéo sont une évolution de leur itération passée, et c'est pour cette raison que la modernité est capitale ici.

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Y avait-il une version du jeu où les joueurs pouvaient gravir des marches ou grimper sur des toitures avec leurs montures ?

SB : Oui, et je pense que Jean-Luc Sala, notre directeur artistique, connaît un moyen de grimper sur les toits avec un chameau ou un cheval, et de réaliser des techniques parkour avec. C'est toujours dans le jeu, d'ailleurs.

Assassin's Creed Mirage est disponible sur Xbox One, Xbox Series X|S, PS4, PS5, PC via Ubisoft Store et Epic Games Store, ainsi que sur Amazon Luna, et fait partie de l'abonnement à Ubisoft+ Premium.

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