25 July 2019

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Clint Hocking, de Watch Dogs: Legion, discute de la direction de création, de croissance personnelle et des fuites d'informations concernant le jeu

Watch Dogs: Legion permet aux joueurs de recruter et de jouer en tant que n'importe quel personnage qu'ils rencontrent dans ce monde ouvert. Il s'agit d'un changement spectaculaire dans la franchise et d'une innovation qui a de profondes répercussions sur le concept de monde ouvert, mais c'est une idée que le directeur de création, Clint Hocking, mijotait depuis qu'il a pris connaissance du jeu Watch Dogs original.

Hocking a commencé sa carrière chez Ubisoft en dirigeant Splinter Cell: Chaos Theory et Far Cry 2, avant de quitter la compagnie en 2010. Cinq ans plus tard, il est revenu chez Ubisoft Toronto pour diriger la production de Watch Dogs: Legion et gérer une équipe d'une centaine de développeurs.

Pour cette chronique de « Valoriser les créateurs », nous avons parlé à Hocking du rôle du directeur de création, de l'évolution de ce rôle et de ce que l'on ressent lorsqu'il y a des fuites d'informations concernant le jeu une semaine avant l'E3.

Que fait un directeur de création exactement?

Clint Hocking : Chaque directeur de création est sans doute assez différent et a une façon différente de faire les choses. Il n'y a pas qu'un seul rôle.

Dans mon travail, j'ai tendance à être très impliqué dans la narration et dans la conception de missions parce que c'est là que réside ma force. Je travaille en étroite collaboration avec le directeur de conception du jeu, le directeur de conception des niveaux, le directeur de la narration, les scénaristes, tous ces gens.

Pour la direction de l'animation et la direction audio, ou pour d'autres domaines où je ne suis pas aussi fort, les directeurs ont beaucoup plus d'autonomie. Je m'assois avec eux, j'examine leur travail et je ne leur donne que des directives de haut niveau. La tâche principale d'un directeur de création est de définir l'orientation et la vision, et de travailler avec l'équipe pour bâtir cette orientation et cette vision.

Comment apprenez-vous alors à donner des directives, non seulement dans les domaines où vous êtes fort, mais aussi dans ceux que vous ne connaissez peut-être pas aussi bien?

CH : Avoir un esprit critique consiste en grande partie à pouvoir critiquer les choses selon les modalités qu'elles créent pour elles-mêmes. Cette musique, par exemple, est-elle en train d'accomplir ce qu'elle semble vouloir faire? C'est beaucoup plus flou et beaucoup plus difficile à décider. Cette animation d'assaut, on dirait que ce personnage essaie d'être brutal. Est-ce que ça semble assez brutal ou a-t-on l'impression qu'elle devrait être plus brutale? Je ne sais pas nécessairement comment donner une direction d'animation détaillée, mais je peux regarder une animation et me demander si ça donne les résultats escomptés.

En revanche, avec le directeur de la conception du jeu, il y a beaucoup plus de va-et-vient et beaucoup plus de tension entre ce que je crois que la conception du système doit accomplir et ce que le directeur essaie de faire. Il y a beaucoup plus de marchandage et de peaufinage quand on peut être beaucoup plus précis à propos des objectifs.

Dans votre rôle actuel, à quel point êtes-vous impliqué? Dans quelle mesure dirigez-vous et faites-vous confiance aux autres pour faire le travail?

CH : Le but est de ne pas faire le travail des autres. Mais en même temps, le travail doit répondre à certains critères et il doit donner des résultats. Alors parfois, je dois mettre la main à la pâte et travailler en étroite collaboration avec quelqu'un afin de pousser quelque chose à un niveau supérieur. Le but n'est certainement pas de faire le travail de quelqu'un à sa place. C'est la pire chose qu'on puisse faire en tant que directeur.

Le but est de les aider à mieux comprendre leur rôle afin de pouvoir complètement arrêter d'intervenir, d'aider le concepteur du jeu et le concepteur du système à devenir de bien meilleurs concepteurs que moi. L'idée est de faire en sorte que ces gens soient si bons dans ce qu'ils font que j'apprenne d'eux au lieu qu'ils apprennent de moi.

Watch Dogs: Legion est un jeu gigantesque sur lequel beaucoup de gens travaillent dans des studios à travers le monde et vous êtes en quelque sorte aux commandes de tout cela de bien des façons. Comment gérez-vous les ressources, le temps et la direction d'un si grand nombre de personnes dans autant de studios différents?

CH : J'aime la mythologie selon laquelle je contrôle quelque chose. Ce serait une belle utopie [il rit]. La vraie réponse est que lorsqu'il s'agit de développer en collaboration avec un autre studio, les producteurs ont beaucoup plus de contrôle sur la plupart des choses que moi.

En fin de compte, c'est un peu comme travailler avec le directeur d'Ubisoft Toronto, ici. Il s'agit de définir l'étendue du travail et du mandat. Une fois que c'est défini, c'est géré par les producteurs, ici et dans les autres studios, avec des vérifications régulières à des moments clés pour évaluer le contenu, plutôt que des commentaires continus.

En général, plus la date de livraison d'un jeu se rapproche, moins le directeur de création a de responsabilités. Maintenant que vous êtes à moins d'un an du lancement de Legion, comment votre rôle a-t-il évolué? Commencez-vous à lâcher un peu les rênes maintenant, ou fonctionnez-vous encore à pleine vapeur?

CH : Si vous considérez tout le développement comme un graphique de contrôle, le premier jour, j'aurais 100 % du contrôle et la production en aurait 0 %. Au dernier jour, elle aurait 100 % du contrôle et j'en aurais 0 %.

Encore une fois, je pense que chaque directeur de création et chaque projet sont différents. Dans mon cas, je m'éloigne de plus en plus des détails, en m'assurant que les différents directeurs sont en maîtrise de leurs éléments et qu'ils les livrent et en essayant de fournir une rétroaction ou un soutien lors de crises au besoin, et simultanément, mon travail devient de plus en plus de m'occuper de choses comme l'E3, la presse et le marketing, et plus généralement des communications extérieures.

Il y a un an et demi, avant que nous n'engagions Kent Hudson comme directeur de la conception du jeu, j'assumais aussi ce rôle. Lorsque nous avons engagé Kent, les toutes premières conversations ont été du genre : « Écoutez, dans un an, je ne serai même pas sur le plancher la moitié du temps. Je serai littéralement à l'extérieur dans un autre pays, ou je rencontrerai des partenaires, ou je serai à une conférence quelque part. » Et c'est une partie importante de mon tr

Durant la dernière année et demie, je me suis assuré que chaque pièce de la conception était entièrement déléguée et maîtrisée par le directeur du jeu pour que je n'aie pas à m'en soucier, afin que je puisse aller faire l'autre partie du travail.

Quel effet cela fait-il de ne plus avoir le contrôle du projet? Avez-vous l'impression qu'on vous enlève quelque chose, ou est-ce que c'est un moment de fierté, comme voir son enfant partir à l'université?

CH : C'est un peu des deux. Avoir les commandes du bateau est amusant. Et puis être là pour attacher la corde au quai et pousser la passerelle est aussi amusant. Mais, vous devez laisser quelqu'un d'autre être celui qui attache la ligne de proue.

Ça nous manque un peu. Attacher la ligne de proue, c'est amusant, et c'est une partie importante du travail. Mais on ne peut pas tout faire. C'est bien de pouvoir décider où aller, et c'est bien d'être capable d'établir l'orientation et de la faire comprendre à l'équipe. Mais en même temps, il faut laisser tomber beaucoup de petites choses amusantes parce qu'il y a aussi d'autres personnes qui travaillent, n'est-ce pas?

Croyez-vous qu'il existe des compétences universelles nécessaires à un directeur de création?

CH : Vous savez, je ne sais pas s'il y en a. Je pense qu'il y a des choses que j'apprécie, des choses qui me semblent plus importantes. Il y a des directeurs de création qui sont vraiment empathiques et qui travaillent avec leurs directeurs pour comprendre leur vision et leurs objectifs créatifs, d'autres qui sont plus dictatoriaux, d'autres qui tirent le meilleur parti de leur équipe et d'autres qui sont plutôt axés sur le concret.

Je crois qu'il y a de meilleurs et de pires types de personnes, mais je ne pense pas qu'il y ait de meilleurs ou de pires directeurs de création dans ce sens. Je pense que je suis une sorte de directeur de création assez concret, et j'essaie de l'être moins. J'essaie d'être plus empathique, de mieux comprendre mes directeurs, de les aider à grandir et de leur donner plus d'autonomie.

Je ne pense pas faire ça pour devenir un meilleur directeur de création. Je le fais pour devenir une meilleure personne. Je pense qu'il y a tout simplement différents types de personnes. Je devrais faire un jeu là-dessus [il rit].

Vous avez un rôle qui change tellement tout au long du processus, y a-t-il une partie que vous préférez? Est-ce la partie de la conception? Est-ce la première démo jouable? Le dévoilement? Le lancement?

CH : J'aime toutes les parties pour différentes raisons. J'aime la partie de la conception ouverte, libre, le remue-méninges. Mais pendant que je le fais, je m'ennuie des contraintes et des réalités de la production et des « feuilles de calculs » concrètes du développement réel. Ensuite, j'adore la conclusion, et j'aime être dans la salle avec les gens qui prennent les décisions difficiles sur ce qui s'inscrit dans le plan et ce qui en est coupé, et qui essaient de simplifier les choses afin de respecter les échéances.

Donc, je n'ai pas vraiment de moment préféré. Je pense que chaque moment est mon préféré jusqu'à ce que j'en aie ras le bol. C'est merveilleux d'être en conception, mais de s'occuper de la conception pour la troisième fois d'affilée après trois ans sans livrer de jeu, c'est vraiment nul.

C'est formidable d'être en production. Tout est en mouvement, tout le monde est vraiment énergique, les gens bougent rapidement et les décisions sont prises rapidement. Mais après un an, c'est vraiment épuisant. Chaque phase a ses bons côtés, et chaque phase peut devenir vraiment drainante après un certain temps.

Watch Dogs: Legion fait quelque chose que nous n'avons jamais vraiment vu auparavant, en permettant d'« incarner qui que ce soit ». D'où vient cette idée exactement?

CH : L'idée vient du premier Watch Dogs. Une grande partie de l'équipe de base du premier jeu Watch Dogs était l'équipe de base de Far Cry 2, donc ils étaient de bons amis à moi, et je savais un peu sur quoi ils travaillaient.

Je me souviens quand j'ai vu le jeu annoncé, que j'ai vu Aiden se promener dans la rue et dresser le profil des gens, et que j'ai vu un peu de détails sur la vie des gens, cela a créé l'illusion que tout le monde était beaucoup plus réel et que la simulation était beaucoup plus complète.

Que se passerait-il si, au lieu d'être de la poudre aux yeux qui crée l'illusion que la simulation des personnages est plus complexe et plus réelle, c'était vraiment le cas?

En commençant à parler de ce que ça signifierait d'avoir la simulation complète d'une population, nous avons aussi commencé à penser, vous savez, dans Watch Dogs, vous jouez en tant qu'Aiden, un gars, un justicier solitaire. Ensuite, dans Watch Dogs 2, vous faites partie de DedSec, et vous êtes cette équipe de cinq ou six personnes; même si vous jouez surtout en tant que Marcus, vous êtes une sorte d'équipe.

Et nous avons commencé à nous demander, puisque nous avons cette simulation complète de toutes ces personnes, pourquoi ne pas simplement faire en sorte que l'on puisse construire sa propre équipe? Puisqu'ils sont déjà là, qu'ils sont simulés et que nous pouvons interagir avec eux, pourquoi ne pas simplement en faire nos personnages jouables? Une fois que nous avons eu cette idée, elle a fait boule de neige.

A-t-il été difficile de communiquer cette idée aux équipes de production? Y avait-il une résistance?

CH : L'idée est venue très tôt. Ce n'était pas comme s'il y avait 150 personnes qui travaillaient sur le projet, et puis qu'on s'était dit : « Hé, et si on faisait ça? » L'idée m'est venue alors que j'étais la seule personne qui travaillait à temps plein sur le projet. Les gens se sont ralliés à l'idée, un à la fois, ou quelques-uns à la fois. Il n'y a jamais eu de grande réunion pour vendre l'idée à 200 personnes d'un seul coup.

Il y a beaucoup de gens qui ont travaillé sur une partie du projet pendant quelques mois, puis qui ont quitté le projet. Il y a eu beaucoup de défis, c'est certain.

Je pense que des personnes différentes ont des capacités différentes pour se lancer dans un rêve abstrait, et se dire : « Je vais passer 10 ans de ma vie à travailler sur quelque chose qui pourrait échouer. » Des personnes différentes ont des capacités différentes pour relever ce défi, et c'est bien comme ça. Ce n'est pas une critique. Les gens doivent être capables de travailler sur des choses avec lesquelles ils sont à l'aise et de faire un travail qu'ils trouvent enrichissant.

C'est l'une des raisons pour lesquelles Ubisoft a un si bon environnement de travail, il y a tant d'options qui s'offrent aux gens. Si quelqu'un n'est pas intéressé par un jeu, par un projet ou par une franchise, ou par les tâches spécifiques qu'il a à faire, il y a beaucoup d'autres options. On n'a pas l'impression de se dire : « Oh, mon Dieu, je dois faire ça pendant les trois prochaines années, même si je déteste ça. »

Comment vous sentiez-vous durant la préparation du grand dévoilement à l'E3?

CH : J'ai travaillé là-dessus pendant 10 ans. C'était incroyable. C'était merveilleux. Avant l'E3, alors que l'on essayait de rassembler les éléments, la démo et les bandes-annonces, et que l'on travaillait sur le discours, les démos pratiques et toutes les versions, c'était extrêmement exigeant.

Mais c'était très important parce que, pour revenir à la question précédente, beaucoup de personnes ont une excellente capacité à s'engager sur des projets imposants, risqués et incertains, et elles se sont jointes à nous pour cette longue aventure sur quelque chose qui était risqué et incertain pendant une très longue période. D'une certaine façon, ils jouaient une partie de leur carrière, une partie de leur vie professionnelle sur cette idée.

Il était vraiment important que ces personnes estiment que ça en valait la peine au bout du compte. Nous devions vraiment nous assurer d'avoir livré quelque chose d'impressionnant et de prouver au monde entier que c'est un truc vraiment génial pour que ces gens soient fiers de ce qu'ils avaient accompli.

Comment se sent-on dans une équipe de développement quand on découvre qu'il y a une fuite d'informations concernant le jeu, une semaine avant l'annonce officielle?

CH : CH : Je pense que ça dépend de la nature de la fuite. Dans notre cas, c'était choquant et frustrant, et nous étions en colère. Je ne crois pas que ça nous ait fait mal, ça nous a peut-être même aidés d'une certaine façon. Les gens sur Twitter demandaient : « Qu'est-ce que ça veut dire, on peut incarner qui que ce soit? » Je pense que ça a mis plusieurs personnes dans une bonne posture pour poser les questions sur le jeu auxquelles nous pouvions ensuite répondre.

Cela dit, si les fuites d'infos sur le jeu avaient été beaucoup plus significatives, par exemple si notre démo de scène avait fui en raison d'une erreur de réseau, ou si quelqu'un l'avait piratée et volée, ça aurait été dévastateur.

En tant que directeur de création, qu'avez-vous appris entre Far Cry 2 et Watch Dogs: Legion? En quoi votre approche concernant la direction a-t-elle changé?

CH : J'ai beaucoup appris en passant de Splinter Cell: Chaos Theory à Far Cry 2. Sur Chaos Theory, je n'étais pas seulement le directeur de création, j'étais aussi chef concepteur de niveau. Et je ne travaillais pas avec le scénariste, j'étais le scénariste. J'avais littéralement trois boulots.

Quand je suis arrivé sur Far Cry 2, j'ai eu beaucoup de chance d'avoir Dominic Guay comme producteur. Dom est vraiment doué pour embaucher des gens et pourvoir des postes. Il s'est assuré que j'étais entouré d'autres directeurs talentueux pour que je n'aie pas à faire trois boulots. C'est sur Far Cry 2 que j'ai appris à déléguer aux autres directeurs et à leur faire confiance pour concrétiser la vision.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de revenir chez Ubisoft?

CH : Ubisoft conçoit des jeux, et Ubisoft doit livrer les jeux. Je voulais vraiment être dans un endroit où je savais que je pourrais livrer des jeux, et aussi un endroit où je pourrais faire confiance à l'entreprise et compter sur le fait que je comprends comment l'entreprise fonctionne et quelle est sa vision et sa direction, afin que je puisse accomplir des choses.

Ubisoft était attirante à cause de ça, mais aussi parce que les types de jeux qu'Ubisoft fabrique, les types de risques qu'elle prend et les ambitions créatives qu'elle a en tant qu'entreprise sont tout à fait en phase avec les miens. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai commencé ma carrière ici ou si c'est un choix naturel. Mais quoi qu'il en soit, ça semblait logique.

Pour d'autres entrevues comme celle-ci, consultez notre entretien avec le directeur artistique de Rainbow Six Siege ou notre conversation avec vice-président des communications internationales d'Ubisoft, consultez nos articles précédents.

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