25 October 2019

12 min - lecture

women of ubisoft

Les Femmes d'Ubisoft – Chella Ramanan

Avec des contributions au Guardian et à la BBC en plus de nombreuses apparitions comme conférencière, cette Londonienne d'origine a souvent traité de la diversité dans les jeux vidéo et de la pauvre représentation des minorités visibles dans ce domaine. Il y a trois ans, elle fit ses premiers pas dans le monde du développement en entamant la création de son propre jeu aux côtés de l'artiste et programmeuse Claire Morley et d'une petite équipe de graphistes, de compositrices musicales et de conceptrices sonores. Le jeu indépendant publié en autoédition, intitulé Before I Forget, est une exploration narrative portant sur un personnage atteint de démence. Son lancement est prévu pour l'an prochain.

Toujours à la défense de la diversité, Mme Ramanan a co-fondé cette année POC in Play, un organisme pro-diversité indépendant dont la mission est d'augmenter la présence et la représentation des minorités visibles dans l'industrie du jeu vidéo. Son expérience en développement et ses nombreuses années comme rédactrice lui ont permis de rencontrer d'autres professionnels de l'industrie et d'éventuellement décrocher un poste comme conceptrice narrative chez Ubisoft, dans les bureaux de Massive Entertainment.

Women of Ubisoft – Chella Ramanan

La journaliste que vous étiez a-t-elle toujours voulu se diriger vers l'écriture de jeux vidéo?

Chella Ramanan : En fait, non. J'ai toujours voulu écrire de la fiction, alors je consacrais mes temps libres à l'écriture et j'animais un groupe d'écriture créative à Somerset, où j'habitais avant de déménager en Suède. J'étais toujours en train d'écrire de la fiction ou de travailler sur un roman. Il y a environ cinq ans, j'ai suivi un cours d'écriture pour les jeux vidéo. J'ignore pourquoi je n'avais encore jamais réalisé que c'était une avenue possible, pourquoi je n'avais pas songé à allier ces deux aspects de ma personnalité, mais j'ai fini par tomber sur ce cours, qui s'est avéré une expérience très enrichissante. Après l'avoir suivi, j'ai réalisé que les bons scénaristes de jeux perfectionnent leur art en pratiquant différents types d'écriture, c'est donc à cela que j'ai consacré mes efforts. Les tuteurs du cours avaient une vaste expérience en théâtre, en journalisme et dans les jeux vidéo, ainsi qu'avec la prose ordinaire. J'ai ensuite suivi un cours d'écriture théâtrale pour la radio, puis écrit et produit ma propre pièce radiophonique la même année.

Cela s'est suivi par une participation à un « game jam » organisé à Bristol. C'est là que j'ai rencontré Claire, et que Before I Forget est né. Nous avons remporté le prix du public, qui récompensait le jeu que les gens souhaitaient le plus voir terminé. C'est à ce moment qu'on s'est dit qu'il y avait peut-être quelque chose là, qu'on devrait poursuivre le projet. Alors c'est là que nous en sommes, à poursuivre le projet [rires].

Quel est votre domaine d'études?

CR : J'ai étudié la littérature anglaise, puis complété un diplôme de second cycle en journalisme.

Qu'est-ce qui vous a amenée à écrire sur les jeux vidéo?

CR : Pendant mes études de journalisme, j'avais un ami qui travaillait dans l'industrie du jeu vidéo. Je le connaissais de l'université. Quand il venait chez moi, il me parlait de l'industrie et de tout ce qui s'y passait en coulisse, et je trouvais ça très intéressant : le rythme de travail effréné, le milieu qui était si petit, et tous les différents liens entre les jeux en raison du fait que les gens migrent beaucoup entre les entreprises et expriment différentes facettes de leur créativité.

Women of Ubisoft – Chella Ramanan

Jouiez-vous à des jeux vidéo quand vous étiez enfant?

CR : Pas dans mon enfance, non. Ma famille ne pouvait pas se le permettre. Ce n'est qu'à l'université que j'ai commencé à jouer sur les consoles Amiga de mes collègues. Et une fois que je me suis fait un ami dans l'industrie, je me suis vraiment mise à aimer le jeu sur console. J'ai toujours eu un côté « nerd », par contre. J'aimais les bandes dessinées et les films, alors mon intérêt se dessinait déjà.

Comment se déroulent vos journées en tant que conceptrice narrative maintenant?

CR : Aucune journée ne ressemble à une autre, et j'adore ça. Nous tenons une réunion rapide chaque jour où nous faisons le point sur la progression de chacun et tâchons de collaborer pour résoudre les éventuels problèmes. Ensuite, je peux écrire des portraits de personnages, ou encore travailler mes présentations pour les trames de quêtes. Ces présentations donnent un aperçu très général des quêtes; une fois qu'elles sont approuvées, on peut écrire un synopsis plus approfondi avant de passer à l'écriture des dialogues ou à la configuration de la quête dans l'éditeur de quêtes. Je suis encore en train d'apprendre à maîtriser le côté technique de l'éditeur de quêtes et le principe des nœuds, entre autres. C'est là que le rôle de concepteur narratif diffère de celui de scénariste : les concepteurs doivent savoir marier l'aspect technique et l'aspect créatif d'un jeu en termes d'écriture. Nous travaillons également avec des artistes, des concepteurs sonores, des concepteurs de niveaux et des programmeurs de grand talent qui nous aident à donner vie à nos idées de quêtes, ce qui est très inspirant.

Outre le contenu en lui-même, en quoi l'écriture non fictionnelle diffère-t-elle de l'écriture de fiction?

CR : Je crois que le métier de journaliste et de rédacteur vous apprend à respecter les échéances et à écrire sous la pression. Je réalise qu'aujourd'hui, je deviens tout excitée quand j'ai une échéance [rires]. Ça me force à écrire, ce qui peut parfois être difficile quand on fait de la fiction, car c'est un travail assez solitaire. Par ailleurs, j'aime beaucoup le fait qu'on travaille en équipe ici. Tous les jours, j'ai la chance d'œuvrer au sein d'un groupe de scénaristes, ce qui est un rêve pour moi. C'est super de bénéficier de ce type de soutien et de pouvoir échanger des idées.

Au bout du compte, ça reste de l'écriture, qu'il s'agisse ou non de fiction. Le journalisme et l'écriture non fictionnelle aident beaucoup à développer une discipline, ce qui est utile dans la fiction et donne des outils lorsqu'il s'agit de créer des univers ou de raconter l'environnement. En tant que rédacteur, on apprend aussi à adopter la voix des autres; on acquiert donc une grande flexibilité dans l'écriture, ce qui est évidemment utile pour la fiction. Je préfère certainement l'écriture plus créative, jusqu'ici c'est un boulot de rêve.

Women of Ubisoft – Chella Ramanan

À quoi ressemble votre travail sur un gros jeu AAA par rapport à un jeu indépendant?

CR : Je crois que la plus grande différence est l'ampleur du soutien et de l'espace qu'on a ici pour progresser, faire des erreurs et parfaire notre art. Chez Massive, il y a plus de gens de qui apprendre. On profite de l'expérience de personnes extrêmement compétentes qui peuvent nous fournir de précieux commentaires. Lorsqu'on travaille en petite équipe avec un seul représentant de chaque corps de métier, c'est difficile d'obtenir de l'aide quant à sa spécialité. C'est très agréable d'avoir un réseau de soutien sur place, ça m'évite de devoir demander l'avis de mes contacts à l'externe ou de mes amis. Ici, je travaille juste à côté d'excellents scénaristes.

Qu'est-ce qui vous a amenée à écrire sur la diversité et la représentation dans les jeux vidéo?

CR : Quand j'ai quitté ma carrière de journaliste pour rejoindre Massive, j'ai offert à mes lecteurs une petite rétrospective de mes éditoriaux hebdomadaires en guise d'au revoir. J'ai été surprise de constater à quel point j'avais commencé tôt à parler de la représentation des femmes et des minorités visibles dans les jeux et leur commercialisation. Dans les années 2000, la situation était terrible. J'ai toujours eu l'impression que contrairement à moi, les gens de l'industrie n'en avaient pas conscience ou n'en parlaient pas beaucoup. D'un côté, ça fait chaud au cœur, mais c'est aussi assez déprimant : le jour où j'ai écrit ma rétrospective, il y a eu un tonnerre de protestations sur Twitter parce que les développeurs d'un jeu allaient réduire la taille de la poitrine d'un personnage. Ça faisait 13 ans que j'écrivais à propos de la représentation des femmes et on en était toujours au même point, alors j'étais plutôt troublée. On a l'impression d'avoir fait beaucoup de chemin, mais certaines personnes n'ont pas évolué avec nous.

Avez-vous l'impression que les choses se sont améliorées dans l'industrie?

CR : Oui, quand même. Je ne suis plus la seule femme dans la pièce. Par contre, je suis parfois la seule minorité visible, et toujours la seule Noire. C'est pour cette raison que nous avons fondé POC in Play. On voit clairement une amélioration; mon équipe chez Massive est exceptionnelle. Tous les différents aspects de l'identité sont représentés parmi nous. Je me sens assez gâtée ici [rires]. Il y a eu des progrès, mais il reste encore beaucoup de travail à faire.

Croyez-vous que c'est un problème particulier à l'industrie du jeu vidéo?

CR : Je crois qu'il est évident que ça ne touche pas seulement notre industrie. Ce genre de conversation a lieu dans une grande variété de domaines. Comme je suis une femme de couleur, je crois qu'en matière de représentation, nos discussions sur la diversité portent trop sur les femmes. On se concentre sur les femmes parce que c'est un paramètre facile à mesurer et à tenter de corriger, mais comme l'accent est souvent mis sur les femmes blanches, il ne s'agit pas de diversité et d'inclusion réelles. J'ai donné une conférence et écrit un article intitulés « Games So White » (Jeux tout blancs) en référence au mot-clic #OscarsSoWhite, car j'ai réalisé que cette question n'était pas abordée dans l'industrie. Nous aimons parler de femmes dans les jeux vidéo, mais en même temps, notre idée de la diversité et de l'inclusion demeure assez étroite.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur POC in Play?

CR : Nous avons fondé l'organisme en février dernier. On organise des rencontres mensuelles ouvertes à quiconque travaille dans les jeux vidéo ou souhaite intégrer l'industrie. L'événement est gratuit, et nous avons un budget de déplacement pour les gens qui aimeraient participer mais ne peuvent pas s'offrir le voyage : le milieu du jeu vidéo est centralisé à Londres, et ce budget nous permet d'accueillir des membres des minorités visibles de partout au pays. Cette semaine, nous venons d'annoncer l'assignation d'un représentant dans le nord de l'Angleterre, marquant ainsi la naissance de POC in Play North, qui rendra nos événements plus accessibles aux habitants de l'Écosse et du Pays de Galles. C'était l'un de nos principaux objectifs de 2019 et je suis ravie que l'incroyable équipe de POC in Play ait pu le réaliser, parce que nous voulons pouvoir rejoindre autant de minorités visibles que possible.

Nous travaillons actuellement sur un projet de banque d'images qui inclura des membres des minorités visibles dans des situations relatives au jeu vidéo et à l'industrie, afin de fournir aux médias et aux publicitaires une collection de photos inclusives pour les professionnels du jeu vidéo. Nous essayons aussi d'encourager la présence de voix différentes sur les panels et dans les événements, car les gens ont tendance à toujours faire appel à la même personne noire ou asiatique de leur entourage, qui devient malgré elle le représentant d'office de toutes les minorités visibles.

Women of Ubisoft – Chella Ramanan

À ce sujet, ressentez-vous parfois la pression d'être la seule femme noire dans une pièce?

CR : Je l'ai beaucoup ressentie en tant que journaliste. En rédigeant une réaction à un certain incident, j'ai éprouvé une pression énorme, car à ce moment je représentais l'industrie du jeu vidéo et les Noirs. On ne m'avait jamais demandé quelque chose d'aussi important que de rédiger un texte comme celui-là en quelques heures. Je ressens parfois cette pression de manière émotionnelle. Quelle que soit leur communauté, les minorités doivent composer avec ça.

Avez-vous développé des moyens de surmonter ou d'alléger ce sentiment?

CR : Je crois que c'était plus facile au début de ma carrière, parce que ce n'était pas vraiment une question qui préoccupait l'industrie. Le milieu était vraiment dominé par les hommes blancs à l'époque. Aujourd'hui, il y a eu une prise de conscience et on parle plus de diversité et d'inclusion, ce qui peut créer de la pression. Mais de nos jours, ces conversations ont tendance à tourner en rond sans donner lieu à de réels changements. C'est un peu étrange que ça soit devenu plus difficile maintenant que l'industrie est « sensibilisée ».

Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui veut écrire pour les jeux vidéo?

CR : N'arrêtez jamais d'écrire. Même juste des petits jeux avec Twine ou Ink; mettez-vous au travail et essayez de les terminer. Même si vous les trouvez nulles, ce sont des créations que vous pourrez montrer à d'autres pour prouver que vous savez mener un projet à bien. Essayez de trouver une communauté de développeurs de jeux qui vous ressemble pour échanger des connaissances et des expériences. C'est une bonne manière de réseauter avec les gens de l'industrie. N'oubliez pas non plus les « game jams »; c'est comme ça que j'ai commencé. On ne sait jamais qui on peut y rencontrer ou ce qui en découlera. Allez sur Twitter [rires]. L'industrie du jeu vidéo ne jure que par Twitter, ou du moins l'industrie et le réseau que je connais. Beaucoup de projets sont publiés sur Twitter; c'est un bon moyen d'amasser des connaissances et des conseils gratuitement.

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