Je m'appelle Xavier Chamoiseau. Je suis né en Martinique, dans les Antilles françaises. Quand j'avais cinq ans, mon père, qui était programmeur dans une banque, m'emmenait souvent à son travail durant la fin de semaine lorsqu'il devait surveiller des sauvegardes. À l'époque, c'était fait sur bande magnétique. Nos petites escapades pouvaient donc prendre beaucoup de temps. Pour m'empêcher de trop le déranger, il m'avait installé devant un terminal et m'avait appris les bases de Logo, le langage de programmation graphique avec la tortue. Ce langage demandait de rédiger des directives de deux lettres de long pour indiquer à la tortue où aller et quoi dessiner.
C'était mon premier contact avec la programmation. Quand mon père m'a montré que je pouvais utiliser ce que j'avais déjà créé pour bâtir quelque chose de plus complexe, j'ai été conquis. C'était comme des blocs Lego et la machine faisait ce que je lui disais. J'étais le patron! À l'âge de sept ans, avec mon premier ordinateur (un CPC 6128), j'ai commencé à rêver de gagner ma vie en programmant. J'avais lu que certaines personnes avaient débuté en créant des jeux vidéo dans leur garage et qu'elles étaient ensuite devenues riches et célèbres. Je me suis dit : « Pourquoi pas moi? »
Tout ceci m'a motivé à étudier les mathématiques et l'informatique. Je me suis donc inscrit dans une école d'ingénierie près de Paris. J'y ai étudié l'interface humain-machine. À ce moment-là, j'étais assez ouvert d'esprit sur ce que je voulais faire et ce n'était pas nécessairement dans le développement de jeux vidéo. La robotique, l'intelligence artificielle et le rendu de l'image m'intéressaient aussi. J'ai même postulé à un stage chez Lucasfilm (ça n'a pas fonctionné).
Sur le marché de l'emploi après les événements du 11 septembre, je me suis retrouvé dans un cabinet d'experts-conseils à travailler sur des contrats de la Défense. Après un certain temps, j'avais l'impression d'être dans une impasse et j'ai réfléchi à mes choix et à mes valeurs. C'est là que j'ai vu qu'un petit studio situé à Paris, F4-Toys, embauchait. Là-bas, j'ai rencontré beaucoup de professionnels et d'artistes que j'admirais, et même d'anciens journalistes de jeux vidéo que je lisais plus jeune. Même si les jeux que nous faisions n'ont pas connu de grands succès, j'y ai appris beaucoup sur l'industrie et sur les procédés de productions et, surtout, je me suis créé un précieux réseau.
Après la naissance de mon fils, la vie à Paris est devenue un fardeau. Le temps de déplacement de la maison au bureau était plus long, le studio éprouvait des difficultés et je subissais chaque jour des microagressions. Ce n'était pas un endroit où je souhaitais élever mon enfant. Comme je viens de la Martinique et que mon épouse vient du sud de la France, nous nous sommes dit que, étant donné que nous allions être loin de nos familles de toute façon, la distance n'importait plus. Nous avons donc décidé de tenter une nouvelle aventure et avons emménagé au Canada!
Après quelques candidatures dans une foire de l'emploi organisée à Paris par le gouvernement du Québec, j'ai réalisé qu'un ancien collègue, Charles Lefebvre, travaillait maintenant chez Ubisoft Montréal. Voyez-vous, après la chute des sociétés point-com au début des années 2000, beaucoup de développeurs de jeux ont commencé à travailler comme consultants. C'est comme ça que je l'ai rencontré. Il est resté avec nous quelques mois, puis il est parti en Australie.
Je n'en avais pas entendu parler pendant des années, jusqu'à ce que je le retrouve sur LinkedIn. Je lui ai alors demandé son avis sur les studios canadiens de jeux vidéo. Il m'a demandé si je souhaitais poser ma candidature chez Ubisoft Montréal et voilà, vous connaissez la suite de l'histoire!
Je peux aussi parler de Damien Kieken. Il était concepteur de jeux débutant chez F4-Toys quand je l'ai rencontré. J'implémentais ses concepts d'interface utilisateur. Nous avons en quelque sorte appris en même temps les rouages de l'industrie et nous nous entendions bien. Il a quitté le studio avant moi. Quand je suis arrivé chez Ubisoft Montréal, après l'avoir perdu de vue depuis longtemps, j'ai réalisé qu'il était directeur de jeu sur Assassin’s Creed Unity.
Je suis un programmeur généraliste et je travaille au sein du groupe technologique sur Phoenix, le logiciel médiateur et l'outil de création de l'interface utilisateur. J'adore l'idée que mes lignes de code ont un impact sur de multiples productions, que je contribue à plusieurs titres. Et, comme Ubisoft se concentre maintenant sur le partage à l'interne et la réutilisation des outils, l'impact que je peux avoir est encore plus grand. J'aime aussi le fait de pouvoir travailler sur une vision à long terme plutôt que de me concentrer seulement sur la prochaine étape de production. Travailler au sein du groupe technologique ressemble beaucoup à un poste de consultant interne. Les équipes de production sont mes clients.
Je souffre parfois du syndrome de l'imposteur et je sais que beaucoup d'autres personnes en souffrent aussi. Pour me convaincre du contraire, je me dis : « Détends-toi, ça va. S'ils t'ont engagé, c'est parce que tu as les compétences requises. » Mais, s'il y a bien quelque chose que j'ai appris, c'est que le travail acharné et le dévouement finissent toujours par payer. Quand j'habitais en Martinique ou en France, je me demandais si mes compétences en anglais et en espagnol me seraient utiles ou si un emploi dans les jeux vidéo était un rêve inatteignable. Mais, les choses finissent par fonctionner quand on n'a pas peur de saisir l'occasion. Aujourd'hui, mes compétences linguistiques me permettent d'avoir une vie sociale diversifiée dans une ville multiculturelle, au travail comme en dehors du travail, et mes compétences en programmation sont bien utilisées dans de très beaux projets. Ce qui me surprend le plus, c'est comment les choses semblent s'être placées d'elles-mêmes comme par magie, bien que ce soit surtout le résultat de mes efforts du passé qui ont finalement payé.
Pour moi, ces efforts ont payé lorsque j'ai eu mon premier crédit dans un jeu vidéo et la première page à mon nom sur MobyGames. C'était devenu réel pour moi, comme une reconnaissance officielle. Je peux aussi dire que les mains de Marcus dans la bande-annonce de Watch Dogs 2 diffusée à l'E3 sont les miennes. Je me trouvais assis tout près des membres de l'équipe Helix à ce moment-là et ils m'ont demandé s'ils pouvaient utiliser des photos de mes mains comme référence pour une texture en haute résolution.
Après cela, je suis fier d'avoir contribué à la création de Phoenix Studio, à la technologie [the tech] que l'équipe a complètement bâtie à partir de zéro et qui est maintenant beaucoup utilisée dans les productions. J'en suis très fier.