Ces dernières années, Ubisoft a fourni un effort collectif pour rendre ses jeux plus accessibles à un plus grand nombre de joueurs. L'équipe Accessibilité, dirigée par le responsable senior David Tisserand, mène de front cette bataille. En 2017, Tisserand a participé à la création du groupe dédié à l'accessibilité et travaille depuis aux côtés des équipes de développement et de marketing externe pour s'assurer non seulement que les jeux sont accessibles, mais que cette accessibilité est également prise en compte à chaque étape de ce processus orienté vers le joueur.
Pour en savoir plus sur l'impact qu'a eu l'équipe de Tisserand et sur ce qu'elle compte encore accomplir, nous l'avons interrogé sur l'avenir de l'accessibilité chez Ubisoft.
L'accessibilité a beaucoup évolué ces dernières années chez Ubisoft. Y a-t-il eu un moment précis où vous avez senti ce changement drastique dans l'approche de l'accessibilité ?
David Tisserand : il y a eu plusieurs moments clés dans notre périple vers l'accessibilité, qui a commencé en 2017 avec la création d'un groupe dédié. Il y a eu le moment où nous avons officiellement intégré l'accessibilité dans le cahier des charges de nos jeux, la création de plus de 20 postes dédiés à l'accessibilité dans toute l'entreprise, mais nous avons également poursuivi nos efforts au-delà des jeux, au sein de nos événements, notre service client et nos sites Internet entre autres. Quand je regarde le travail que nous avons commencé sur nos moteurs et intergiciels internes, afin de mieux prendre en charge l'implémentation de nouveaux paramètres d'accessibilité, je pense que de grands changements sont à venir. Je considérerai notre mission accomplie lorsque l'intégralité de tout ce que nous faisons pour nos joueurs et nos employés sera accessible. Ça a toujours été notre objectif et je suis content que nous profitions de cet élan pour poursuivre dans cette voie-là.
L'industrie du jeu vidéo dans son ensemble cherche également à repousser toujours plus loin les limites de l'accessibilité. À quoi ressemble l'avenir de l'accessibilité chez Ubisoft ?
DT : Maintenant que nous avons posé de solides bases, nous pouvons désormais proposer un niveau d'accessibilité minimale pour l'ensemble de nos jeux. À partir de maintenant, les joueurs peuvent s'attendre à trouver des commandes adaptables, des options pour les joueurs daltoniens, des sous-titres de haute qualité et une taille de police décente dans presque l'intégralité de nos titres. C'est quelque chose dont je suis très fier, vu la taille de notre catalogue et la diversité des expériences que nous proposons à nos joueurs, de Just Dance à Rainbow Six, en passant par Anno et Assassin's Creed.
Nous savons que ce n'est pas suffisant pour nous assurer que chaque jeu soit accessible à tout le monde à court terme, mais nous sommes toujours déterminés à ouvrir nos univers au plus grand nombre de joueurs possible. Par exemple, Rainbow Six Extraction a supprimé quelques barrières que Rainbow Six Siege n'avait pas anticipées à l'époque de la sortie du jeu.
Assurer un niveau d'accessibilité minimal pour l'ensemble de nos jeux n'est pas notre objectif final. Nos joueurs doivent absolument profiter d'une expérience toujours plus améliorée sur le long terme. C'est pourquoi notre objectif actuel est d'innover et de repousser les limites de certains jeux pour élever le niveau d'exigence au sein de notre entreprise, mais également au sein de l'industrie même. Pour cela, nous avons recruté une équipe d'experts dans la conception de jeux accessibles qui collaboraient déjà avec nos équipes de développement. Tout le monde sait que, plus on réfléchit tôt à l'accessibilité, meilleurs seront nos résultats et plus de gens pourront s'immerger dans nos univers.
L'équipe aide également à s'éloigner progressivement des options d'accessibilité standards pour tendre vers une approche d'accessibilité par défaut. Les fonctionnalités de personnalisation seront toujours nécessaires pour satisfaire les besoins d'une grande variété de joueurs que nous souhaitons accueillir dans nos jeux. Mais nous aimerions que l'accessibilité soit prise en compte dès le début d'un projet, et à chaque étape du processus, de la conception au prototype, en passant par le codage tardif. Ainsi, nous pourrons réduire le nombre d'options à développer et faire en sorte que le joueur se sente moins perdu, une fois dans le menu des options. Nous travaillons dur pour proposer l'expérience la plus accessible par défaut et peaufiner les options disponibles, sans augmenter la charge cognitive.
Pour nous, il s'agit de progresser et de profiter de cet élan. Ce n'est pas une course pour sortir un seul jeu accessible et délaisser tous les autres projets.
Quelle est la différence entre des options d'accessibilité et une accessibilité par défaut ?
DT : Une option d'accessibilité est quelque chose que nous ajoutons à un jeu pour supprimer une barrière qui ne devrait pas en être une dans le jeu. Par exemple, une option pour augmenter la taille de la police des menus pour que les joueurs puissent les parcourir plus facilement. La lecture d'un menu ne fait généralement pas partie d'un gameplay souhaité par les concepteurs de jeu. Dans cet exemple, l'option d'accessibilité permet d'augmenter une taille de police qui pourrait s'avérer trop petite.
D'une autre manière, une accessibilité par défaut est quelque chose que nous intégrons dans la conception même du jeu pour empêcher une barrière inutile de se créer. Si on reprend l'exemple de la taille de la police du menu, une accessibilité par défaut impliquerait de développer tout simplement nos menus avec une police plus large. Certains joueurs n'auraient ainsi plus besoin d'utiliser une fonctionnalité pour l'agrandir.
Une conception accessible par défaut comporte autant d'avantages pour les développeurs que pour les joueurs. Les développeurs gagnent du temps, puisqu'ils n'ont plus à implémenter cette fonctionnalité d'agrandissement. Ils ont ainsi plus de temps pour se concentrer sur d'autres aspects du jeu. Les joueurs, quant à eux, profitent d'une expérience plus équitable. Tous les joueurs devraient profiter de la même expérience, sans avoir à perdre du temps dans le menu des options.
Selon nous, nous pouvons justement innover vers une conception accessible par défaut.
Est-ce qu'une conception plus accessible par défaut entraînera la disparition des options d'accessibilité dans les jeux ?
DT : Pas du tout. Nous espérons pouvoir réduire le besoin de ces options, mais l'expérience de chacun est différente et les jeux sont devenus de plus en plus complexes. Quelqu'un aura toujours besoin de personnaliser son expérience, selon ses goûts ou ses besoins. Par exemple, les joueurs aveugles ou malvoyants auront toujours besoin d'un narrateur. Nous aurons toujours besoin de proposer cette option-là.
Mais lorsque je parle d'une conception accessible par défaut, cela signifie que nous pouvons décider à l'avance d'implémenter un narrateur. Nous allons déjà réfléchir à l'expérience de ces joueurs, lorsqu'ils naviguent dans nos menus et nous assurer que la navigation numérique est entièrement prise en charge, que les éléments de l'écran peuvent être parcourus comme des listes logiques et ordonnées, etc.
Dans certains cas, nous pourrons réduire drastiquement le besoin d'une option. Par exemple, si nous nous assurons qu'aucun sens n'est transmis par une seule couleur, alors il y a une chance que les options pour les joueurs daltoniens finissent par ne plus être utiles. Une fois de plus, nous gagnons du temps lors du développement et les joueurs gagnent du temps, puisqu'ils n'ont plus autant besoin d'ajuster leur expérience dans les options.
Ubisoft dispose d'un catalogue de jeux large et varié. Comment imaginer un niveau d'exigence qui s'applique à Far Cry 6, mais aussi aux jeux en RV, ou des jeux comme Just Dance et Rocksmith+ ?
DT : Il n'y a pas de solution miracle. Il s'agit plutôt d'un mélange d'une approche générale, qui cherche à résoudre des problèmes communs rencontrés dans chaque jeu, et d'une approche plus personnalisée qui s'adapte aux spécificités de chaque jeu.
Par exemple, 99 % de nos jeux fournissent des informations sous forme audio. Nous pouvons aisément mettre en place une politique où tous les jeux devraient avoir des sous-titres et ainsi déjà réfléchir à leur apparence en termes de type de police, de taille, de contraste, de retours à la ligne, etc. On pourra ensuite l'appliquer à presque l'intégralité de nos jeux. Ça, c'est l'approche générale.
Mais il ne faut pas oublier que les joueurs interagissent avec nos jeux d'une multitude de manières différentes, en utilisant leur corps, en interagissant avec une souris et un clavier, en utilisant des technologies d'assistance comme un clavier visuel, un suivi oculaire ou des commandes vocales. C'est là qu'il faut prendre en compte tous les paramètres pour résoudre un problème plus complexe. Il faut travailler avec les équipes du moteur et de l'intergiciel, réfléchir aux systèmes principaux de chaque jeu, estimer le temps disponible avant la sortie du titre, évaluer la taille de l'équipe de développement et bien d'autres choses encore.
Ensuite, nous pouvons commencer à concevoir un support sur-mesure pour ces équipes, afin de traiter les problématiques d'un jeu spécifique et aider chaque équipe à approfondir leurs connaissances de l'accessibilité.
Ce qui est bien avec cette approche, c'est que tous ceux qui font partie du processus tireront quelque chose de cette expérience et pourront s'en servir sur leur prochain jeu. C'est ça qui est intéressant chez Ubisoft, c'est que l'ensemble de l'entreprise peut profiter de l'apprentissage d'une équipe. Nos équipes de développement collaborent ensemble, partagent leurs idées, leurs codes, leurs processus, ce qui nous permet d'avancer encore plus vite.
Une fois de plus, ce n'est pas le remède miracle, et parfois nous loupons le coche sur certains jeux. Mais je suis convaincu que c'est ce qui nous permettra d'accueillir tous les joueurs dans nos univers sur le long terme. Pour nous, il s'agit de progresser et de profiter de cet élan. Ce n'est pas une course pour sortir un seul jeu accessible et délaisser tous les autres projets. C'est une collaboration à long terme qui permet à l'ensemble de l'entreprise de s'améliorer un peu plus chaque année. Et nous espérons que cela pourra ensuite mener à une industrie plus accessible de manière générale.
Comment l'équipe évalue-t-elle les jeux et les manières de les rendre plus accessibles ?
DT : Le rôle de l'équipe responsable de l'accessibilité est d'être une sorte de soutien transversal afin d'améliorer les connaissances d'Ubisoft tout entier. Nous aidons les développeurs à comprendre les barrières auxquelles font face les joueurs en situation de handicap dans nos jeux. Comprendre ces barrières nous permet de comprendre l'impact des mécaniques que nous choisissons d'implanter dans nos jeux, et plus important encore, cela nous permet de déterminer comment mettre en place un processus efficace et durable pour conceptualiser, concevoir, valider, corriger et peaufiner une expérience accessible.
Bien sûr, nous pouvons toujours faire part de nos retours sur les barrières que nous apercevons en jouant à la première version du jeu. L'équipe Contrôle qualité de l'accessibilité vérifie que tous les paramètres d'accessibilité fonctionnent comme prévu. Le labo de recherche utilisateur valide les idées de conception avec le public cible. Nous aidons ces équipes à atteindre leurs objectifs en partageant nos meilleures pratiques et apprentissages, comme nous le faisons avec les équipes de développement.
À quel moment du processus de développement l'équipe intervient-elle pour conseiller et mettre en place une conception accessible ?
DT : Je suis ravi de dire que nous sommes impliqués à chaque étape du processus de développement des jeux que nous suivons de près. C'est incroyable de voir tout le travail accompli en dehors du processus de développement : nous améliorons nos moteurs pour faciliter la programmation de certains paramètres d'accessibilité, nous avons mis en place de nouvelles méthodes de test utilisateur pour impliquer des joueurs en situation de handicap dans le développement même et nous avons amélioré la manière de récolter les retours de la communauté.
L'accessibilité fait désormais partie intégrante d'un jeu et de chaque équipe qui contribue à créer ce jeu.
Vous dites depuis longtemps que vous aimeriez que l'accessibilité fasse partie de l'ADN d'Ubisoft. Comment avez-vous progressé vers cet objectif ?
DT : Même avant la création officielle de l'équipe responsable de l'accessibilité, mon objectif a toujours été de proposer une expérience accessible de bout en bout à nos joueurs. Il faut ainsi s'assurer que les joueurs sont impliqués dès l'annonce d'un jeu lors d'un événement comme Ubisoft Forward et ce, jusqu'au moment où ils auront le jeu entre les mains, jusqu'au dernier instant où ils interagissent avec nous en tant que clients.
Pour intégrer l'accessibilité dans l'ADN même de l'entreprise, il a fallu collaborer avec chaque équipe et les aider à comprendre l'expérience que vivent les joueurs en situation de handicap avec nos produits et nos services. Je suis ravi de voir les résultats de cette stratégie à travers nos événements, notre marketing, notre service client, et bien sûr, les équipes de développement qui, à travers le monde, proposent elles-mêmes leur propre stratégie et innovent avec un soutien minimal de la part de l'équipe Accessibilité. Nous œuvrons tous ensemble pour imaginer un avenir plus accessible pour l'ensemble de nos joueurs et j'ai hâte de découvrir les prochaines propositions de nos équipes.
Pour en savoir plus sur l'accessibilité chez Ubisoft, n'hésitez pas à consulter notre page dédiée à l'accessibilité.